Scènes

Zoom ! Night - Yolk vs F_IRE

La première Zoom ! Night organisée en France s’est déroulée les 15 et 16 octobre 2009 à Nantes : Yolk et le collectif F_IRE se sont retrouvés au Pannonica.


La première Zoom ! Night organisée en France s’est déroulée les 15 et 16 octobre 2009 à Nantes : Yolk et le collectif F_IRE se sont retrouvés au Pannonica.

Yolk, on connaît : à la fois collectif de musiciens et label, comptant parmi ses membres des musiciens tels qu’Alban Darche, Sébastien Boisseau ou encore Matthieu Donarier. Ce que l’on sait moins, c’est que Yolk s’est lancé depuis quelque temps dans la mise en place d’un collectif de collectifs européens.
Premier acte : l’album Zoom, paru en 2007, a donné son nom au groupement qui se compose aujourd’hui de El Gallo Rojo (Italie), F_IRE (Royaume-Uni), Fiasko (Finlande), Jazzkollektiv Berlin (Allemagne), Mäâk’s Spirit (Belgique), Octurn (Belgique), Jazzwerkstatt (Autriche) et Yolk (France). Comme l’explique Jean-Louis Pommier (Yolk), ces rencontres naissent d’affinités artistiques et humaines.
Depuis la création du collectif de collectifs ont eu lieu plusieurs Zoom ! Nights, notamment en Angleterre : un collectif en accueille un autre, offrant la possibilité aux musiciens français, belges ou allemands de se produire ailleurs. La première, organisée en France, s’est déroulée les 15 et 16 octobre 2009 à Nantes, dans le cadre d’un partenariat entre Yolk et le Pannonica [1]. Pour cette édition, le collectif nantais rencontrait F_IRE, basé à Londres, avec une originalité par rapport aux précédentes : en plus d’accueillir deux groupes de F_IRE, le trio d’Ingrid Laubrock et celui de Tom Arthurs, les musiciens du collectif londonien étaient également invités à se joindre à ceux de Yolk au sein du LPT3 et du Trio+1 d’Alban Darche.

Premier acte : le trio de Laubrock, saxophoniste allemande vivant à Londres, accompagnée dans cette aventure par Liam Noble au piano et Marc Ducret à la guitare. Et première surprise pour ceux qui connaissent le travail de Yolk : ces invités font dans la free music européenne on est donc assez loin donc de l’esthétique yolkienne, a priori. Tout est affaire ici de fulgurances, de déchirements, de tension/détente exacerbées, de travail du son, ou plutôt des sons. La jeune saxophoniste triture ceux de son instrument, éructe et fait la part belle à la puissance et à l’énergie. Peter Brötzmann n’est pas loin. Cette recherche la pousse même à se passer du bec de son ténor pour s’ouvrir de nouvelles perspectives. A ses côtés, la révélation de ce trio : Liam Noble.

L. Noble © M. Bouyer

Ce pianiste anglais, le plus discret sur scène (il faut dire qu’entre l’Allemande qui se démène et Ducret qui gesticule et grimace, tant son jeu est autant physique que mental, il est facile de paraître en retrait), fait preuve d’inventivité sur tous les plans : en soutenant les cris de Laubrock ou les traits électrisés de Ducret en jouant directement sur les cordes, ou en contrebalançant les interventions de ses comparses par des lignes mélodiques d’une beauté renversante. Ses interventions portent littéralement le trio dont la musique, quoique digne d’intérêt, pâtit quelque peu du manque d’histoire commune. Moyennant un peu de temps et de vécu, ce groupe dévastateur et capable de surprendre, est promis à un bel avenir.

Christophe Lavergne, François Thuillier et Jean-Louis Pommier, connus sous le nom d’LPT3, ici accompagnés par Tom Arthurs (F_IRE), ramènent ensuite le public sur terre. Ici, plus question de fulgurances ou de traits survitaminés, mais des arrangements travaillés, des mélodies douces et des échanges cuivrés joliment efficaces. Le disque (paru chez Yolk l’année dernière) avait été une belle surprise : l’association tuba/trombone/batterie atteint l’équilibre parfait entre la puissance des soufflants et le socle rythmique solide de la batterie. L’arrivée de la trompette ouvre de nouvelles perspectives dans la richesse des arrangements et la diversité des lignes.

LPT3, T. Arthurs, A. Darche © M. Bouyer

Mais l’Anglais apporte également sa folie douce ; tout sourire, cherchant du regard ses amis français, il lance des répliques en contrepoint et dynamise une musique qui s’enrichit sous nos yeux et nos oreilles. Encore un groupe à revoir dans quelques mois, quand il aura pu confirmer cette excellente première impression par d’autres aventures communes.
Le concert se termine avec l’arrivée d’un invité-surprise : le saxophone d’Alban Darche vient se mêler à la fête comme un « amuse-gueule » annonçant la seconde soirée…

Le lendemain, retour au Pannonica pour le trio de Tom Arthurs, la belle découverte de la veille, avec Jasper Høiby à la contrebasse et Stuart Ritchie à la batterie, formule relativement peu courante : la trompette sans instrument harmonique en support est difficile à tenir dans la durée. Ce trio, judicieux mélange entre improvisation et composition (la limite entre les deux exercices étant souvent difficile à situer) propose une musique elliptique, qui s’en va et qui revient, voyage d’un instrument à l’autre, sait se faire tantôt douce et mélodique, tantôt puissante et ravageuse, le tout bénéficiant d’une belle fluidité - vu le contexte complexe - due à la longue histoire commune des trois musiciens. Ce trio original renouvelle la forme trompette/contrebasse/batterie. L’aventure se prolongera par la découverte de leur album en 2007.

T. Arthurs, F. Thuillier © M. Bouyer

Dernier concert de ces deux rencontres, feu d’artifice final : le trio d’Alban Darche, accompagné par son invité permanent Alexis Thérain et trois invités exceptionnels : Ingrid Laubrock, Marc Ducret et, pour deux morceaux, Jean-Louis Pommier. Les habitués du Pannonica ou de Yolk retrouvent le répertoire tiré des deux albums du trio, Trickster et le récent Brut ou demi-sec ?, revisité ici par ce sextet/septet surprenant : d’un côté le Trio+1 (Darche, Chiffoleau, Birault et Thérain), proposant une musique à la fois suave, complexe, rythmiquement et mélodiquement très riche, et de l’autre Laubrock et Ducret qui dynamitent tout, apportant effets de surprise et esprit d’ouverture. Quelques petits moments de flottement dus au manque de répétitions en commun, mais le résultat est une vision transfigurée du travail de Darche. C’est également l’occasion de découvrir ce dernier plus fougueux qu’à son habitude, comme si le jeu chauffé à blanc de la saxophoniste lui donnait envie de la suivre sur ces chemins rocailleux et vertigineux.

I. Laubrock, A. Darche, M. Ducret © M. Bouyer

A leurs côtés, la puissance et le talent rythmique d’Emmanuel Birault laisse rêveur, tout comme la contrebasse de Chiffoleau qui se joue à merveille des chausse-trapes posées par Darche. Côté six cordes, l’association Thérain/Ducret est détonante : d’un côté, une sonorité cristalline, riche, d’une fraîcheur revigorante dans cet ensemble complexe, de l’autre, la guitare totale de Ducret, polyglotte du rythme et du son. Une complémentarité qui donne envie de les revoir ensemble. L’arrivée du trombone de Pommier pour deux morceaux ramène la musique - consciemment ou non - vers des couleurs orchestrales plus typiques de l’univers yolkien, avec notamment de superbes contrepoints et le talent d’écriture qui caractérise Alban Darche.

Quel bilan pour cette première Zoom ! Night française ? Tout d’abord, il faut saluer cette volonté d’ouverture et de rencontre : le public a eu la chance de découvrir des musiciens passionnants, tel Tom Arthurs, qui se produisent rarement en France. L’association des deux collectifs au sein de leurs propositions respectives, même si elle manque encore de cohésion, permet d’enrichir encore la musique de groupes qui figurent déjà parmi les plus marquants de la scène contemporaine. Loin des grands discours, voilà en tout cas une manière jouissive de concrétiser l’Europe !

par Julien Gros-Burdet // Publié le 23 novembre 2009

[1Citizenjazz était donc doublement partenaire de cette soirée.