Entretien

Didier Ithursarry, l’accordéon symphonique

Du Pays basque à Paname et sur toutes les routes de France, Didier Ithursarry déploie son grand soufflet.

Didier Ithursarry par Fabrice Journo

Du cirque au théâtre, de la chanson à l’orchestre symphonique, sans oublier le jazz évidemment, il n’y a guère de scène sur laquelle Didier Ithursarry n’a pas déployé son accordéon.
Rencontre avec un homme et un musicien attachant, toujours un peu complexé de n’être pas tombé dans la marmite du jazz étant petit. Il devrait bien se rassurer en constatant la qualité des artistes qui lui font confiance.

- Didier Ithursarry, vous êtes né à Bayonne et c’est dans cette ville que vous avez appris l’accordéon ?

Je suis effectivement né à Bayonne où j’ai commencé l’accordéon très tôt, à l’âge de 7 ans. Tout d’abord, grâce à des cours privés avec Gérard Luc, un professeur incroyable, avant d’intégrer, à 18 ans, la classe de Myriam Bonnin (tout aussi géniale) au Conservatoire National d’Orsay. J’ai également suivi les cours du conservatoire de Bayonne, en solfège et en classe de percussion.

- Je me suis laissé dire que vous avez beaucoup fréquenté les bals…

Tout ça s’est fait en parallèle.
C’était une époque (les années 80-90) et une région, le Pays basque, où l’accordéon était « roi », très lié à la fête, à la chanson et à la danse. Gérard Luc, en complément de son enseignement pointu, nous lançait dans le bain dès qu’on pouvait se débrouiller un peu et qu’on possédait un petit « répertoire ». Il était donc courant de commencer très tôt « le métier », dans les salles de bal essentiellement, autour de cette musique à la fois populaire et traditionnelle. Pour ma part, je devais avoir vers les 11/12 ans. Ce fut une période très formatrice pour moi, un vrai terrain de jeu. La transmission orale, jouer « à l’oreille », réagir vite : c’était une belle école.
C’est toute cette expérience combinée à mes années d’études de musique dite plus « savante » et contemporaine en conservatoire qui constitue les fondations du musicien que je suis aujourd’hui.

Didier Ithursarry © Fabrice Journo

- En 1996, vous quittez votre Pays basque pour vous installer à Paris. C’est rapidement une avalanche de rencontres dans des univers variés, la chanson, le théâtre et le cirque, les musiques de film, les séances d’enregistrement et… le jazz. Comment et avec qui s’effectue cette découverte d’un nouvel univers ?

J’avais vraiment une envie d’ailleurs, d’ouverture, et vivre à Paris me faisait rêver. C’était, en outre, une nouvelle et très belle période pour notre instrument. Il bénéficiait d’un nouvel élan, d’un second souffle. Il y avait évidemment Richard Galliano, le principal acteur du retour en grâce de l’accordéon dans le jazz. Mais il renaissait aussi dans le rock avec Les Négresses vertes, Les Têtes raides, dans la chanson avec Léotard, Leprest, etc. Ce renouveau touchait aussi la danse, le théâtre, la musique contemporaine, etc. C’était assez incroyable.

C’est d’ailleurs par le théâtre que j’ai commencé à Paris, grâce à mon ami David Venitucci qui m’avait « branché » et avec qui on s’est partagé six mois de représentations entre la Cigale et le théâtre Mogador. C’était Le Faust Argentin d’Alfredo Arias, et ce fut un chouette début !
Les opportunités se sont ensuite très vite multipliées. La chanson : Clarika, Manau, François Béranger, Juan Carlos Cáceres, et plus tard Sanseverino. Le spectacle musical avec Annie Fratellini, Jérôme Savary. Les séances de studio. Et ce furent les premières rencontres dans le jazz : Serge Luc, Jean-Philippe Bordier, Marco Campo, William Chabbey et tant d’autres.

il m’avait engagé sur une seule phrase d’accordéon entendue alors que j’accompagnais François Béranger

- Il semble que votre destin jazz s’emballe suite à votre rencontre avec Claude Barthélémy, un musicien éclectique comme vous qui vous ouvre les portes de l’Orchestre National de Jazz (O.N.J.) lors de son second passage à sa tête de 2002 à 2005. Que représentent pour vous Claude Barthélémy et l’O.N.J. ?

Si je regarde mon parcours de ces 20 dernières années, la famille de musiciens dans laquelle j’évolue aujourd’hui, les amis qui sont les miens, les directions que j’ai empruntées et les choix artistiques que j’ai pu faire, la rencontre avec Claude Barthélémy y est très fortement liée.
La connexion avec Claude s’est faite en un éclair, et c’est normal avec ce personnage incroyable, impressionnant et un peu hors norme ! Il aimait à dire qu’il m’avait engagé sur une seule phrase d’accordéon entendue alors que j’accompagnais François Béranger, ce qui est assez fou. Il disait aussi que ce qui lui plaisait chez moi, c’était que je n’étais pas un musicien de jazz, ce qui m’arrangeait et m’aidait un peu à me décomplexer.

Didier Ithursarry vu par Franpi Barriaux (Reims, 2018)

Je me suis donc retrouvé presque du jour au lendemain au sein de son quintette Sereine avec Franck Tortiller, Jacques et Nicolas Mahieux. Nous avons enregistré pour le Label bleu après seulement 2 ou 3 jours de répétition… Ensuite, et pour 3 ans, je suis devenu musicien de l’ONJ. Ce fut une période de découverte très excitante pour moi.
J’étais un peu fasciné par l’univers de Claude, sa manière de penser et d’aborder la musique, de René Thomas à Olivier Messiaen, de Barbara à Ornette Coleman et Jimi Hendrix, de la poésie aux mathématiques. Ça m’a bousculé, sorti de ma zone de confort, donné l’occasion d’aller ailleurs, de découvrir encore et encore. Ça m’a permis de croiser la route d’artistes incroyables, des musiciens bien sûr, mais aussi des auteurs, des danseurs, des chorégraphes, des plasticiens, des circassiens. J’ai pu expérimenter d’autres formes de liberté, d’écoute, d’observation, élargir mes sources possibles d’inspiration : des mots, une peinture, un geste, un mouvement, un silence. Tout cela a constitué une « nourriture » d’une richesse incroyable.

- Les choses vont alors très vite puisque dès 2008 vous obtenez le prix « Gus Viseur » catégorie jazz. Je crois qu’une autre rencontre importante pour vous est celle de Guillaume Saint-James, compositeur et saxophoniste ?

J’ai obtenu ce prix pour ma participation à la tournée du chanteur Sanseverino et pour ma collaboration au travail d’arrangement.
Quant à Guillaume Saint-James, c’est un véritable ami, il fait partie de mon cercle proche. Avec lui, c’est une histoire de fidélité, de complicité. Guillaume est un musicien incroyablement inspiré. Son travail se situe entre une écriture ciselée et une musique totalement débridée. C’est incroyable comme les projets avec lui sont à chaque fois très forts émotionnellement, humainement, et musicalement bien sûr.
Il y a eu tout d’abord l’aventure Jazzarium, son sextet, puis il m’a embarqué dans de nombreux projets symphoniques, notamment avec l’ONB (Orchestre National de Bretagne). Une merveilleuse création avec Chris Brubeck, Brother in Arts, qui nous a menés plusieurs fois aux États-Unis. Nous y avons vécu des rencontres, des situations incroyables, sur les traces entre autres de Dave Brubeck.
Puis la dernière création en date, un beau cadeau, un concerto pour accordéon et orchestre, « Les 7 péchés capitaux ». Il a été créé en 2019 et l’enregistrement vient de sortir sur le label Indésens sous le titre Sketches of Seven en même temps que sa Symphonie « Bleu ».

Didier Ithursarry © Franpi Barriaux (Reims, 2018)

- Il semble qu’à partir de 2014 le compteur de vos projets s’affole. J’ai compté pas moins de 13 albums où vous apparaissez entre 2015 et 2021 !

C’est peut-être aussi la peur du vide. Il y a eu beaucoup de projets, c’est vrai, parmi lesquels de vraies, belles, longues et fidèles collaborations qui perdurent : Jean Marie Machado, Christophe Monniot, Geoffroy Tamisier, Guillaume Saint-James, Alban Darche, Kristof Hiriart, et tous les musiciens qui gravitent autour d’eux. C’est avant tout une chance d’avoir toutes ces opportunités. Ça a été (et ça l’est encore) ma façon de m’éveiller, d’apprendre, de me nourrir. Faute, peut-être, d’avoir fait une école de jazz et de m’être formé en tant que tel. J’en ai vraiment besoin.
On me fait observer parfois que j’ai mis du temps à créer mes propres projets. C’est qu’il me fallait prendre confiance en moi, me sentir légitime. Et toutes ces aventures que nous venons d’évoquer ne m’en donnaient pas beaucoup le temps non plus !
Aujourd’hui, je prends de plus en plus de plaisir à la composition et à créer ou participer à des projets plus personnels.

Tous ces duos sont autant d’explorations, d’énergies, de sensibilités différentes

- Justement, 2014, c’est aussi votre album Kantuz (label Lagunarte), « ÉLU » Citizen Jazz en 2015 et Prix Gus Viseur.

Oui, en quartette avec Jean-Charles Richard au saxophone, Mátyás Szandai à la contrebasse et Joe Quitzke à la batterie. Des amis et des musiciens au lyrisme, à la poésie et à la force dont j’avais besoin pour ce premier projet.
Dans la continuité, est venu le trio ATEA (LagunArte Productions / L’autre distribution, 2020) avec Joce Mienniel et Pierre Durand. L’instrumentation en est complètement différente, plus intime, mais toujours avec ce côté organique qui me plaît et qui est en moi je pense, fait de sons, de souffle, de terre, de danse.
Puis il y a tous les duos. J’aime beaucoup la liberté qu’offre cette formule. J’ai l’impression que c’est une des formes dans laquelle je peux m’exprimer le mieux, dans laquelle je me sens bien. Cette manière de travailler plus intime, plus resserrée me plaît beaucoup.
ll y a d’abord eu Oboréades et Paris by Song avec Jean-Luc Fillon (hautbois), en pause pour le moment, puis se sont succédé Bilika avec Kristof Hiriart (percussionniste, multi-instrumentiste, compositeur et chanteur), Hymnes à l’amour avec Christophe Monniot (saxophoniste) dont le 2ème disque vient de sortir sur le label Émouvance, et Lua avec Jean Marie Machado. Et le tout dernier, en train de prendre forme, celui avec Élodie Pasquier (clarinettes). Tous ces duos sont autant d’explorations, d’énergies, de sensibilités différentes.

- Une dernière question, Didier Ithursarry : « Et maintenant, qu’allez-vous faire ? »

Essayer de continuer !!!! Continuer à partager, rencontrer, créer, aimer, croire. En espérant que les variants se tiennent tranquilles.
De la nouvelle musique est en cours pour Lua » et Bilika. Une belle création est à venir également avec Jean-Christophe Cholet (pianiste), Matthieu Michel (trompette) et un quatuor à cordes, de même avec l’Orchestre Danzas, un nouvel opus, Symphonia. Quelques solos aussi.
Puis, sur la route, il y a toujours des groupes que j’adore, Lagrimas Azules avec Geoffroy Tamisier (trompette) et Laurent Jaulin (guitare). Le 2e disque, Amistades est sorti cette année sur le Label OUEST, le Brass Dance Orchestra avec ce même Geoffroy, François Thuillier (tuba) et Jean-Louis Pommier (trombone), l’Organik Orkestra emmené par Jérémie Ternoy (piano) et Kristof Hiriart (un disque, Ritual, est également sorti cette année sur le Label Lagunarte).