Portrait

Guillaume Saint-James, l’homme en bleu

De l’enfance normande au compositeur pour orchestre symphonique, un itinéraire vers les cimes.


Guillaume Saint-James par Duponcel

Comment un trompettiste contrarié est-il devenu saxophoniste ? Par quels chemins faut-il passer pour transformer un soliste en démiurge faisant vibrer tout un orchestre ? C’est ce que propose de découvrir ce portrait d’un homme à propos duquel on entend les noms d’Honegger, Bernstein, Chostakovitch, Stravinski ou Bartók…

Le saxophoniste et compositeur Guillaume Saint-James n’est pas né un saxophone aux lèvres et il n’a pas non plus suivi de cursus académique à proprement parler. Il a néanmoins commencé la musique très tôt par l’apprentissage du piano. Dans sa famille mélomane, le piano était obligatoire jusqu’à l’entrée en 6ème. Son père disait : « le piano c’est l’orchestre ! ».

A l’adolescence, le jeune Guillaume se voyait bien trompettiste, mais l’époque n’était pas favorable à ses vœux. Cet instrument n’était pas recommandé chez les adolescents pour des raisons de capacité et de développement pulmonaire ! Pas de trompette, alors ce sera clarinette, pour la rime peut-être ! Et, faute de conservatoire proche, ce sera, chaque mercredi à Caen, un cours particulier de musique chez Philippe Quellier, clarinettiste et saxophoniste de jazz bien connu en basse Normandie. C’est ce pédagogue qui a inoculé le virus du jazz au jeune Guillaume. Il en garde un souvenir ému. Chez Philippe Quellier, on passait du temps sur l’instrument et on écoutait beaucoup de musique. Sans qu’on sache bien comment, après trois ans de clarinette, un premier saxophone ténor atterrit entre les mains du jeune homme et les vinyles de John Coltrane franchissent la porte de sa chambre.
Vers les 16 ans, c’est la mode de l’époque, on commence à se produire sur scène dans de petits groupes amicaux. On joue de la pop-rock dans de petits festivals. Il faut attendre les études de musicologie à Rennes, pour retrouver Guillaume dans des groupes de jazz locaux. Il est présent dans des bars et sur les scènes des côtes bretonnes durant la saison estivale.

Guillaume Saint-James par Rachel Daucé

Nouvelle marche franchie avec l’installation à Paris. Les choses deviennent nettement plus sérieuses avec l’inscription à l’American School of Music et à l’école ARPEJ (Association Rencontre pour la Pédagogie et l’Enseignement du Jazz), une école de jazz et autres musiques afro-américaines (rhythm & blues, musique brésilienne, afro-cubaine, etc.). C’est l’époque des Jam Sessions dans les clubs de nuit. Il fallait « apprendre sur le terrain, la véritable école du Jazz ! ». Guillaume participe régulièrement à des sessions de travail dans des locaux de répétition à Montreuil mais il se rend rapidement compte que la composition et le développement de ses projets personnels l’attirent plus qu’une carrière de soliste.

Le jeune compositeur monte un quartette avec Franck Agulhon à la batterie, Jérôme Séguin à la basse et Albin de la Simone au piano. En 1997, le groupe remporte le premier prix du Tremplin professionnel de Jazz à Vannes avec un répertoire des compositions de Guillaume. Il s’en souvient encore avec émotion : « C’était merveilleux de pouvoir jouer le soir même en première partie de Joshua Redman et du fameux trio Texier-Sclavis-Romano dans le Jardin de Limur. Nous étions sur un petit nuage…"
Et le rêve continue : « Aldo Romano était président du jury. De retour à Paris, il m’a contacté. Il voulait que je remplace Stefano Di Batista pour une série de concerts au Duc des Lombards. Je suis allé chez lui, nous avons longuement discuté… »
Mais il faut atterrir et ça fait mal : « le projet n’a pas abouti car sa maison de disques faisait pression sur lui pour qu’il remplace Stefano par un saxophoniste plus connu à l’époque ! C’était incompréhensible et très dur à entendre pour un jeune musicien ».
Qu’à cela ne tienne, Guillaume réalise que le chemin serait parfois semé d’embuches, que le milieu n’était pas toujours tendre. Il en tire la conclusion que ses projets personnels occuperaient dorénavant la majeure partie de son temps. Et en homme averti, il conclut : « Cette expérience fut salvatrice et déterminante dans mon parcours ».

Guillaume Saint-James par Duponcel

Le temps passe et, en 2005, Guillaume Saint-James dit avoir ressenti « le besoin de créer une formation plus large (lui) offrant plus de possibilités d’écriture, plus de choix dans les couleurs, les timbres. Une sorte de big band de poche, un petit laboratoire pour proposer une musique assez écrite et ciselée … ». Ce sera Jazzarium, autour d’un trio classique (piano, basse, batterie) et trois soufflants, (saxophone, trompette et trombone). Pascal Salmon, Cédric Alexandre, Stéphane Stanger, Jérome Séguin, Christophe Lavergne, Geoffroy Tamisier et Jean Louis Pommier ont façonné à tour de rôle le son de ce groupe qui enregistre trois albums (Les Poissons Rouges, Panoramik Records, 2005 ; Meteo Songs, idem en 2008 ; Polis Plus loin music, en 2012) favorablement accueillis par la presse. Rapidement, le piano cède la place à l’accordéon de Didier Ithursarry « afin de donner une touche encore plus personnelle à la formation ». Guillaume Saint-James ne cache pas son bonheur de voir cet instrument occuper une place privilégiée dans les jazz d’aujourd’hui, comme une sorte d’école « à la française », dit-il…

En 2014, Polis a beaucoup grandi pour devenir Megapolis (Label Yolk / L’autre distribution) et, dans cette nouvelle version, l’œuvre fait intervenir, outre les musiciens du Jazzarium, l’Orchestre Symphonique de Bretagne, sous la direction de Didier Benedetti. C’est le début d’une longue et fructueuse collaboration de Guillaume Saint-James avec des orchestres qui le mènera jusqu’à son dernier album La Symphonie « Bleu » et Sketches of Seven (IndéSens, 2020), respectivement avec l’Orchestre Victor Hugo Franche- Comté sous la direction de Jean-François Verdier et avec l’Orchestre National de Bretagne sous la direction d’Aurélien Azan Zielinski, Didier Ithursarry à l’accordéon.
En chemin, il y aura eu en 2014 Brothers in Arts, co-écrit avec Chris Brubeck, une commande d’État pour l’Orchestre national de Bretagne à l’occasion du 70ème anniversaire de la Libération et de la Résistance.

Guillaume Saint-James et Chris Brubeck ©DR

En 2018, c’est Black Bohemia une suite concertante pour saxophone et orchestre autour de l’œuvre de James Reese Europe, fruit de sa rencontre avec le dédicataire, Branford Marsalis, créée par l’Orchestre Symphonique de Bretagne.

Et maintenant, que va-t-il faire ?

« La pandémie a considérablement ralenti les choses ! Il est compliqué pour les artistes de se projeter à court terme. Je scrute l’horizon à l’affût de la moindre éclaircie. Mon esprit foisonne de projets. »
Guillaume Saint-James le dit souvent, il lui est "difficile d’écrire de la musique sans thématique précise », des thèmes qui « sont en fait des prétextes pour parler des tourments humains ».
Dans sa dernière pièce symphonique, La Symphonie « Bleu », il rend hommage à différentes figures emblématiques ayant eu un rapport avec le monde ouvrier. On y trouve notamment Hugo, pour qui il s’est inspiré de son roman Les travailleurs de la Mer. C’était la première fois qu’il puisait son inspiration dans une œuvre littéraire. Maintenant, l’idée d’une partition mettant en relation la musique et la littérature « (l’)attire de plus en plus. Au-delà des mots, le rapport au rythme dans la poésie est de toute évidence une source d’inspiration formidable pour un compositeur ».

Si, manifestement, l’idée d’écrire à partir d’un texte poétique le séduit beaucoup, un autre projet cependant le sollicite prioritairement.
En 2017, l’Orchestre symphonique de Bretagne organise un concert avec Omar Sosa sous le titre Sueños Cubanos. Guillaume Saint-James a réalisé l’arrangement et la réorchestration de la plupart des pièces interprétées. A cette occasion, il rencontre le pianiste cubain et le percussionniste Gustavo Ovalles avec qui il sympathise. C’est justement pour lui qu’il est « en train d’écrire un concerto pour percussions et orchestre qui sera interprété par Ovalles et l’Orchestre National de Bretagne. C’est d’ailleurs une commande de l’orchestre, par l’entremise de son bouillant et très inventif administrateur général, Marc Feldman.

Guillaume Saint-James et Branford Marsalis par Laurent Guizard

Parallèlement, il entreprend l’écriture d’une pièce pour effectif plus réduit, « une nouvelle partition passerelle entre le monde classique et celui des musiques improvisées mettant en scène un quatuor à cordes, un quatuor de saxophones et une rythmique jazz » autour de l’univers de cette figure emblématique de l’école française classique de saxophone qu’est Marcel Mule. Toujours, cet appui sur une thématique.
Et comme manifestement le compositeur Saint-James ne se sent jamais mieux que dans un bouillonnement créatif, il nourrit aussi « le rêve un peu fou d’écrire une partition pour (s)on ami Emmanuel Bex à l’orgue Hammond qui dialoguerait avec un orgue liturgique et l’orchestre symphonique ». Avec l’espoir que cette rencontre n’ait jamais réellement eu lieu…

Nous aurons donc l’occasion de retrouver dans ces colonnes Guillaume Saint-James, un compositeur qui tisse le lien entre le jazz et la musique symphonique,