Portrait

Jazz Family, un nouveau label

Création du label Jazz Family et rencontre avec ses fondateurs, Camille Dal’Zovo et Yann Martin


Photo Axel Uri

En cette époque morose, Yann Martin vient de créer, avec Camille Dal’Zovo, le label Jazz Family. Tous deux nous exposent leur vision de cette nouvelle aventure.

- Comment en êtes-vous venus à cofonder un nouveau label de jazz ?

C.D.Z. : C’est l’aboutissement d’un processus logique. J’ai commencé à travailler comme attachée de presse assistante chez Tôt ou Tard et j’ai poursuivi cette activité comme attachée pour Label Bleu. En 2007, je deviens attachée de presse indépendante en jazz puis, de 2010 à 2014, je rattache mon activité à Only Music, société d’édition musicale, dont je deviens la gérante. En septembre 2014, je crée ma société, CdZ, en tant que productrice, éditrice et promotrice. Et avec Yann, nous créons le label Jazz Family en novembre 2014.

Y. M. : Chez moi, on peut parler de déterminisme ! J’ai exercé la fonction de directeur commercial chez Média 7 avant d’être cofondateur avec Joël Perrot des labels Grave, puis Soupir (musique classique, contemporaine et improvisation). J’ai également été directeur commercial chez Harmonia Mundi, puis j’ai cofondé Nocturne et créé en 2004 son label de jazz, qui s’appellera rapidement Plus Loin. Il comptera plus de 35 artistes et 150 références.

Camille Dal’Zovo (par Julien Domec)

- Pourquoi recréer aussi rapidement un nouveau label alors que la situation générale n’est pas très favorable, c’est le moins qu’on puisse dire ?

Y. M.  : Par passion, tout simplement, et parce que les artistes ont et auront toujours besoin, comme le public, de musique enregistrée. Les modèles économiques changent, à nous de nous adapter.

C. D. Z. : C’est exactement ça. Je travaillais avec Yann à la promotion des albums Plus Loin. Quand on a compris que le label allait s’arrêter, il nous a semblé évident qu’il fallait monter une nouvelle structure pour accueillir, dans un premier temps, les très belles signatures initialement prévues sur Plus Loin. La question de « monter un label » ne s’est même pas posée, c’était une évidence, comme a dit Yann, une obligation. Parce que nous sommes passionnés, parce qu’au-delà d’un métier, c’est de notre vie qu’il s’agit, et parce que les artistes avaient besoin de nous. Nous sommes comme tout le monde aujourd’hui, nous cherchons LE bon modèle qui permettra aux producteurs de vivre et de produire, et aux artistes de jouer et de manger. Je crois que nous partageons cette vision fondamentale de la vie et que c’est ce qui nous fait avancer. C’est un pari, risqué mais magnifique, fou mais réjouissant.

Y. M.  : Malgré l’incertitude économique, une nouvelle aventure débute avec Jazz Family. La direction est différente, car je ne suis plus seul à bord. La concentration est différente aussi : nous sortirons 6 à 8 nouveautés par an au lieu de 12, voire 15 par le passé. Nous ferons moins de développement de jeunes artistes. Mais, ouvert à toutes les esthétiques qui font le jazz de notre époque, Jazz Family fera la part belle aux jeunes talents français et internationaux. Il est diffusé dans le monde entier, en physique et en numérique, depuis janvier 2015.

La direction artistique privilégie les signatures d’artistes aux carrières internationales. Eli Degibri a été le sax ténor d’Herbie Hancock ou d’Al Foster pendant plusieurs années. Il enregistre avec Brad Mehldau, entre autres. Aujourd’hui, il est un des acteurs majeurs de la scène israélienne. Rémi Panossian tourne en France mais aussi beaucoup à l’étranger : 50 à 70 dates en Corée, au Japon, en Allemagne, au Canada, etc. Dmitri Baevsky, né en Russie, vit et joue aux USA et dans toute l’Europe. C’est un très grand représentant du bop. La dernière tournée de Grégory Privat avec Sonny Troupé a eu lieu en Russie ; plébiscités aux Antilles, ils vivent en France. Et ainsi de suite. D’un point de vue esthétique, il y aura naturellement de grandes similitudes avec Plus Loin. Si les univers et les parcours de ces artistes sont bien différents, ils ont pourtant de nombreux points en commun. Virtuoses et perfectionnistes, mélodistes hors pair, les artistes Jazz Family privilégient avant tout une certaine idée de la modernité et l’émotion.

C.D.Z. : Je confirme l’envie de Jazz Family de défendre un jazz moderne et très ouvert, de lui redonner son image populaire plutôt qu’élitiste.

Y. M. : A titre d’exemple, le nouvel album du pianiste martiniquais Grégory Privat en duo avec le percussionniste guadeloupéen Sonny Troupé est paru en janvier. Leur duo n’est pas un « concept », comme c’est malheureusement bien souvent le cas mais d’abord une longue amitié entre deux Antillais à Paris. Leur répertoire, ils ont commencé à le créer ensemble, harmonie par harmonie, note par note, mélodie par mélodie. Toutes les compositions sont originales, travaillées, mûries concert après concert. On le ressent dès la première écoute tant le propos va loin et tant c’est naturel. C’est moderne, comme d’habitude avec Privat, mais toujours très ancré dans la tradition. C’est une bouffée de liberté, ce duo où chacun a la place de s’exprimer comme il l’entend…

Yann Martin (par Jean-François Picaut)

C. D. Z. : Dans la même ligne, je voudrais vous inciter à écouter également l’album de Véronique Hermann Sambin. Elle a accordé un soin tout particulier aux compositions, aux textes et aux arrangements. Cet album, presque entièrement en créole, dégage une émotion rare. Bref, un album de chanteuse pas du tout comme les autres…
Bienvenue dans la « famille » !