Scènes

L’Onceim à Crak : l’écume d’une nuit

Le 28 septembre 2019 à l’occasion du Festival Crak, l’ONCEIM rejoue à l’église Saint-Merry « Occam Ocean », ce monument spectral, quatre ans jour pour jour depuis sa création dans l’acoustique qui l’a portée.


Livret Occam Ocean Vol.2

Il est 23h30 lorsque s’ouvre dans l’église « Occam Ocean », cette unique pièce pour orchestre de la compositrice Eliane Radigue, figure historique de la création contemporaine et de la musique électronique. Le disque sort à cette occasion sur le label Shiiin, accompagné d’un livret de 90 pages.

C’est l’image de la mer qui fonde l’œuvre.

Dirigés par Frédéric Blondy, les vingt-huit musiciens de l’Onceim sont répartis par groupes en formant des noyaux, comme les alvéoles de l’algue brune, du fucus en grappe que l’on trouve dans la mer du Nord.

ONCEIM Occam Ocean - Alice Leclercq

Pas de soliste dans cette œuvre magnifique dont l’ondoiement s’éprouve tout en lenteur, mais des groupes d’instruments qui se passent le relais – les uns entrent tandis que les autres disparaissent en decrescendo – pour figurer les vagues.

Avec d’abord, pour donner à imaginer cette mer encore au loin à l’horizon, une note tenue, retenue en extrême pianissimo par une première section formée de l’accordéoniste Christophe Girard (Melusine, Smoking Mouse) et des guitaristes Jean-Sébastien Mariage, Giani Caserotto et Richard Comte. Les guitares sont ici acoustiques et jouées à l’archet.

Les groupes d’instruments se font entendre un à un. Trois percussionnistes usent de leurs mailloches - Rémi Durupt, Antonin Gerbal, Julien Loutelier - puis leur succèdent dans l’ordre les clarinettes, les cordes, les cuivres (euphoniums, trompette, trombone), les saxophones.

Immergée dans ce « temps sans durée » (*), on perçoit dans une deuxième partie que le même principe d’entrée / sortie des groupes se répète, mais cette fois deux par deux : deux groupes jouent ensemble et après l’entrée d’un troisième groupe, le premier disparait.

Enfin, après un tutti, la mer se retire et dans l’obscurité de l’église ne reste que l’écume, symbolisée par les dernières résonances des mailloches.

ONCEIM - Octave-S - Alice Leclercq

Si Frédéric Blondy règle la durée de chacune de ces parties de l’œuvre, l’exercice pour les musiciens consiste à rester en équilibre : « La musique d’Éliane exige beaucoup de maîtrise dans le registre pianissimo : il faut un grand calme intérieur et le garder sur la durée » Louis Laurain. [1]

« Occam Ocean synthétise une façon de concevoir l’improvisation : le matériau musical est extrêmement minimaliste, la forme est prédéterminée dans les grandes lignes et il nous appartient à chacun, dans ce cadre défini à l’avance, de prendre à chaque instant des décisions en fonction de ce qui survient ». Giani Caserotto [2]

Ce concert nocturne ainsi que l’album offrent une heure d’expérience méditative, profonde, absolument sublime.

Nota : Si le concert n’a débuté qu’à 23h30, c’est qu’il était précédé d’une création intitulée Octave-S, une commande passée par l’ONCEIM au platiniste et plasticien canadien Martin Tétreault.

ONCEIM - Octave-S (2) - Alice Leclercq

L’acoustique de l’église Saint-Merry est propice aux recherches en termes de spatialisation sonore. On reste à cet égard marqué par celles du Quatuor Machaut (Festival Crak 2017) et d’Erwan Keravec avec Spas, pièce écrite par Samuel Sighicelli (Les Rendez-vous Contemporains de Saint-Merry 2018).

Octave-S propose une autre expérience de mise en espace. L’orchestre de Frédéric Blondy se répartit en groupes pour entourer le public, avec en particulier deux guitaristes en miroir, Giani Caserotto face à Jean-Sébastien Mariage. On entre plutôt ici dans une dissection, dans une autopsie sonore pratiquée par cet « atelier de travail ouvert aux compositeurs » [3] qu’est l’ONCEIM.

par Alice Leclercq // Publié le 13 octobre 2019

[1Extraits du livret de l’album Occam Ocean Vol.2, sorti sur le label Shiiin

[2Extraits du livret de l’album Occam Ocean Vol.2, sorti sur le label Shiiin

[3Extraits du livret de l’album Occam Ocean Vol.2, sorti sur le label Shiiin