Chronique

Emile Parisien Quartet

Spezial Snack

Emile Parisien (ss, ts), Julien Touéry (p), Ivan Gélugne (cb), Sylvain Darrifourcq (dr)

Label / Distribution : ACT

Lors de la parution de Chien-Guêpe, Emile Parisien nous disait « nous avons voulu dire aux gens qui nous suivent : Voilà, on en est là maintenant. C’est tout ».

On pourrait dire la même chose de Spezial Snack, dernier album en date du quartet et le premier paru sur le label ACT, chez qui le saxophoniste signe également en duo avec Vincent Peirani. Mais comme toujours, l’apparente désinvolture du quartet masque un travail acharné qui l’emmène chaque fois plus loin dans sa trituration du matériau musical.
La musique d’Emile Parisien et ses acolytes, on le sait, cache sous des titres volontairement burlesques - qui fleurent bon le cadavre exquis - une profonde noirceur et une inquiétude existentielle évidente.

On a beaucoup parlé de l’identité sonore de ce quartet. Elle est en effet remarquable d’unité, d’homogénéité et d’originalité : personne ne compose et ne joue comme ces quatre-là ensemble, ils sont reconnaissables entre mille.
On a moins relevé à quel point le quartet semble agir comme un creuset où chacun mûrit sa voix propre, autant dans le jeu que dans l’écriture. Fusion/sublimation alchimique qui vaut à chacun d’entre eux, après douze ans et (seulement) quatre albums, d’être devenus des acteurs majeurs de la scène jazz française et européenne. Emile Parisien, leader, a été le premier remarqué en tant qu’individu, mais les dernières années ont révélé les trois autres. D’abord Sylvain Darrifourcq, leader audacieux aux frontières du rock expérimental et de la musique contemporaine (Q, trio avec Julien Desprez et Fanny Lasfargues ; duo avec Akosh S. ; Barbacana ; MILESDAVISQUINTET ! et maintenant ses aventures avec les frères Ceccaldi) [1]. Plus récemment - il était temps ! - Julien Touéry et Ivan Gélugne, longtemps restés dans l’ombre du leader, acquièrent une reconnaissance méritée de leurs pairs et de la critique. [2]

Mais revenons à notre album. Cinq titres d’une durée de 6 à 12 minutes : un format qui permet à leurs compositeurs de développer leurs idées à la manière d’un récit. Autant de prétextes à une exploration croisée de ce qui est musique et de ce qui ne croit pas l’être. Ainsi dans « Potofen » (nom d’un médicament analgésique) on démarre par une ouverture effervescente ; la mélodie triste qui suit fait place à une longue période intrigante où, sur une rythmique désarticulée, piano et saxophone semblent retranscrire la parole d’une personne seule avec son téléphone.
Ainsi « Haricot Guide », ostensiblement parodique, démantibule pendant 8 minutes les poncifs du jazz, du New Orleans à la walking bass, du free au chabada, avant une seconde partie où les clins d’œil aux cartoons Disney démentent une atmosphère de film noir à base de grincements et de contrebasse menaçante. Ainsi, dans « Les Flics de la Police », le saxophone décrit de curieuses arabesques sur un chaos cahotant qui pourrait ressembler à du rock dur s’il n’était concassé par la batterie de Darrifourcq.

Ils en sont là, donc. Douze ans, quatre albums et une identité unique faite de contradictions, d’intelligence, de sensibilité et de liberté en doses à peu près égales, à quoi s’ajoutent encore des tas d’ingrédients dont on ne fera pas la liste, parce qu’elle les ferait rougir.

par Diane Gastellu // Publié le 24 janvier 2016

[1Sylvain Darrifourcq est aujourd’hui remplacé au sein du Emile Parisien quartet par Julien Loutelier.

[2Citons à titre d’exemple pour Julien Touéry le Trio Kassap-Touéry-Duscombs, ou sa collaboration avec le Lobe de Claire Bergerault ; pour Ivan Gélugne, le Mallet-Horn Jazz Band ou le quartet Petite Moutarde...