Scènes

(((echo))) « Le jour se lève » (Nantes)

Pour ce deuxième volet du festival trimestriel (((echo))), intitulé « Le jour se lève », le Pannonica (Nantes) pose un regard sur le Japon, avec notamment comme « invitée permanente » Ikue Mori. Cinq jours, quatre lieux, une dizaine de concerts et une exposition de photographies étaient au programme.


Pour ce deuxième volet du festival trimestriel (((echo))), intitulé « Le jour se lève », le Pannonica (Nantes) pose un regard sur le Japon, avec notamment comme « invitée permanente » Ikue Mori. Cinq jours, quatre lieux, une dizaine de concerts et une exposition de photographies étaient au programme.

Le Pannonica a lancé à l’automne 2009 (((echo))), un temps fort trimestriel dont l’objectif est de présenter en l’espace de quelques jours plusieurs concerts et événements autour d’un thème unique. La première édition, qui tournait autour de la batterie, avait notamment offert aux spectateurs du Pannonica, sur trois soirées, le quartet de François Merville, le sextet de Simon Goubert, le Benzine de Franck Vaillant ou encore les solos de Peter Orins et Chris Corsano.

Pour ce deuxième volet (« Le jour se lève ») le Pannonica pose un regard sur le Japon, avec notamment comme « invitée permanente » Ikue Mori, figure emblématique de la scène underground new-yorkaise depuis la fin des années 1970. Cinq jours, quatre lieux, une dizaine de concerts et une exposition de photographies : un programme dense autour de ce pays et de ses rapports avec les artistes occidentaux. Parmi les musiciens présents à Nantes, on note le duo Donkey Monkey, A&E (Andrew Sharpley et Emiko Ota) ou encore Tomoko Sauvage.

  • Ciné-concert : Oyuki, la vierge & Francis et ses peintres + Emiko Ota + Maïa Barouh

Francis et ses peintres, le groupe de François Ripoche avec Fred Chiffoleau, Christophe Lavergne et Gilles Coronado, propose un ciné-concert autour du film de Kenji Mizoguchi (1935). Choix pertinent : tout d’abord, le réalisateur japonais s’est inspiré du Boule de suif de Maupassant. Ensuite, le groupe s’est adjoint deux chanteuses : une Française vivant au Japon, Maïa Barouh, et une Japonaise vivant à Paris, Emiko Ota. Et enfin, le répertoire comporte des reprises de Fréhel et… Donna Summer mais aussi des chants traditionnels japonais.

Christophe Lavergne © Franpi

Exercice difficile, mais qui semble intéresser de plus en plus de musiciens, la mise en musique de films muets (ARFI, ONJ…) nécessite une véritable réflexion sur la direction musicale souhaitée. La réussite de cette proposition tient justement à ce que, loin de les illustrer, la musique se nourrit des images pour, en retour, en enrichir le propos, en apportant donc une certaine modernité à l’œuvre, déjà portée par une histoire intemporelle. Basée sur des compositions originales aussi bien que sur des reprises, elle emmène le spectateur/auditeur dans le Japon des années 1930. On pense à Jim Jarmush par le côté road movie magnifié par la bande-son, à Bill Frisell (cf. son travail autour de Buster Keaton) pour la liberté de l’approche ou encore à Das Kapital et sa relecture de Hanns Eisler, pour le travail sur les chansons populaires (ici, les reprises de Donna Summer et Fréhel). Une performance à la hauteur du répertoire et de la beauté des images de Mizoguchi. Il faut noter que les deux chanteuses sont exceptionnelles, notamment Maïa Barouh dont la voix nous transporte très loin. Une révélation. Une empreinte indélébile qui, en associant images et musique, hante durablement la mémoire. Un spectacle créé en 2009 grâce à Paris-Cinéma qui mérite d’être diffusé un peu partout en France. Espérons que de nombreux rendez-vous viendront bientôt enrichir son agenda.


Ikue Mori & Itaru Oki

Quand deux figures tutélaires du jazz et de l’avant-garde japonais se rencontrent, il faut s’attendre à un échange qui dynamite styles et catégories. C’est le cas du court — à peine plus d’une demi-heure — concert donné par Ikue Mori (électronique) et Itaru Oki (trompettes, flûtes et tubes divers) : basée sur la mise en mouvement des sons, leurs rencontres et leurs échos, la musique de ce duo est d’une grande richesse évocatrice. La vaste palette de Mori passe des sons aquatiques aux bruits métalliques en utilisant tout le volume de la salle et ses réverbérations. Ainsi stimulée, l’inspiration d’Oki offre quelques passages mémorables. Le souffle se fait tantôt puissant, tantôt profond, alternant entre énergie déployée et calme retrouvé. Entre flûtes et trompettes de sa fabrication, le musicien japonais, assis en tailleur, garde les yeux mi-clos comme pour mieux saisir les subtilités des ambiances créées face à lui par Ikue Mori. Une belle association qui donne naissance à une musique hors de toute mouvance, simplement basée sur la rencontre sincère entre deux fortes personnalités.


Nuts

Mené par Benjamin Duboc, contrebassiste français hyperactif et avide de rencontres de tout poil, Nuts réunit autour de lui deux Japonais, un Français et un Américain. On s’était enthousiasmé pour leurs deux disques [1] ; on ne pouvait donc laisser passer l’occasion de découvrir - ou plutôt de vivre - leur musique sur scène. Nuts s’épanouit en toute liberté dans de grands espaces, au gré des rencontres engendrées par ce « pentagone jazz ». Au centre de tout, véritable point d’ancrage autour duquel tout semble tourner avant de s’éloigner et de revenir, Benjamin Duboc. A sa gauche et à sa droite, les deux duos trompette/batterie : Itaru Oki et Didier Lasserre d’un côté, Rasul Siddik et Makoto Sato de l’autre. La formation fonctionne sur plusieurs modes : quintet, quartet trompette/batteries/contrebasse, duos, trios… Le seul point commun, c’est la circulation des idées et le respect mutuel

Nuts © Bruce Milpied

Ce dispositif où les instruments sont presque tous doublés met particulièrement en valeur la personnalité des musiciens : entre le minimalisme et la recherche sonore de Lasserre et la puissance et la volubilité de Sato, deux visions de la batterie se confrontent et se complètent. Même chose pour les deux soufflants : tout en énergie, jouant des limites physiques de la trompette, Oki travaille sur le son et le souffle alors que Siddik s’inscrit plus dans la tradition noire américaine du souffle intérieur et de l’importance de la mélodie. Un de ses solos soulève d’ailleurs l’enthousiasme de ses partenaires comme du public. Nuts se renouvelle en permanence, au gré des idées et des inspirations. Chaque seconde peut déboucher sur une bifurcation, une nouvelle idée à creuser. Seul petit bémol, la durée du concert : en une heure, c’est bouclé. Et une heure, c’est court quand on aime...


Brumes passagères – Jean-Pierre Favreau

Comme à son habitude, le Pannonica rhabille ses murs pour l’occasion. Tout à fait dans l’esprit d’ (((echo))) « Le jour se lève », l’exposition « Brumes Passagères » présente des clichés de Jean-Pierre Favreau. Réalisés sur le vif au Pays du Soleil levant entre 2001 et 2009, ils saisissent l’isolement et les interrogations de l’homme de la rue pris au milieu de ses semblables et de l’espace urbain, et dont le regard révèle toujours une certaine solitude, une quasi-absence au monde. Contraste saisissant avec l’hyperactivité constante de la ville japonaise que l’on pressent autour de lui.

Tokyo © Jean-Pierre Favreau

Ces regards perdus, hagards, semblent trahir une lassitude constitutive de la vie au sein des métropoles de ce siècle naissant. Magnifiés par un noir et blanc splendide autant que par un exceptionnel sens du cadrage et de l’à-propos, ces photos proposent avec une grande justesse une vision immergée de la « condition urbaine. »

par Julien Gros-Burdet // Publié le 18 avril 2010

[1Nuts – L’atelier Tampon (Sans Bruit) et Nuts – Symphony For Old And New Dimensions (Ayler Records).