Scènes

En passant par la Lorraine : Louis Sclavis & Ebony 5t

Louis Sclavis mène depuis quelques mois une fructueuse collaboration avec un quintette de clarinettes originaire de Thionville en Moselle.


Louis Sclavis mène depuis quelques mois une fructueuse collaboration avec un quintette de clarinettes originaire de Thionville en Moselle. En témoigne ce stimulant concert-création avec Ebony 5t – le second donné par les six musiciens – du côté de Nancy, dans la petite bourgade de Neuves-Maisons.

On passera rapidement sur la demi-heure apéritive proposée par l’harmoniciste Alain Delhotal dont le répertoire sympathique, s’il a suscité un rappel de la part du public, ne restera pas gravé dans nos mémoires. Un peu trop digestif, ce qui, finalement, peut paraître paradoxal…

Lorsque Louis Sclavis et ses complices Jérôme Chilia, Philippe Dorn, Eric Goubert, Florian Valloo et Christian Wiss investissent la scène devant quelque trois cents personnes, le climat ne tarde pas à changer. Nonobstant le départ précipité d’une poignée de spectateurs visiblement surpris par la tonalité contemporaine des compositions proposées et, semble-t-il, assez éloignée de leurs habitudes auditives, c’est le début d’un beau voyage qui va mêler étroitement les compositions du quintette et celles de son mentor.

Ebony 5t © Daniel Eugé

D’emblée, les sinuosités syncopées de « Eat A Swan Cake To Hit The Swank Ache », signée Eric Goubert nous démontrent que l’adéquation entre les Lorrains et le gone est réussie. De leur formation classique, les musiciens d’Ebony 5t ont conservé une précision redoutable. Ils transcendent la partition avec une vraie jubilation, en lui insufflant une bonne dose de folie communicative, fruit de leurs divagations vers des répertoires plus aventureux. On voit pourquoi leur association avec Sclavis apparaît vite comme une évidence : le même sang bouillonne dans leurs veines, le même engagement haletant habite leur interprétation. Il suffit de scruter les regards qui s’échangent pour comprendre qu’une musique de chambre contemporaine se dessine devant nous et que le plaisir n’est pas seulement du côté du public mais aussi chez les musiciens.

Quand vient le temps de « Près d’Hagondange » [1], composition-phare de Sclavis en trois mouvements qui prend appui sur le thème des « Hauts Plateaux » du trio Romano-Sclavis-Texier, on est frappé par le fort pouvoir de séduction de cette mini-symphonie virtuose dont chaque mesure est une petite excursion à la fois périlleuse et élégante. Il faut toute la rigueur et l’énergie des six interprètes pour lui donner, au-delà de l’exercice de haute voltige, sa véritable dimension : celle de l’intelligence du souffle premier, le souffle du cœur.

La contribution de Sclavis ne s’arrêtera pas là : « L’heure des songes », en provenance du somptueux Lost On The Way est réarrangé mais reste très proche de sa version originale. Un peu plus tard, l’intrigante « Annonce » extraite de L’imparfait des langues, qui sonne comme un appel du muezzin soufflé à même le bocal de la clarinette basse, introduit un fougueux « Duo » avec Eric Goubert. Il faut aussi saluer le « Dilemme » de Jérôme Chilia, belle ballade aux intonations nostalgiques, ou le furieux « Chant du Quetzalcoatl » de Florian Valloo, qui l’amène au bord de la transe.

Louis Sclavis © Daniel Eugé

Ces six artistes tutoient les anches, le public en redemande et « Yipili », le joyeux rappel, achève de le convaincre : il vient de partager un moment de passion ; pas une minute sans invention, sans transmission d’une énergie vitale… On se sent bien dans cette musique avec, toujours, le plaisir de la découverte et cette petite part d’inconnu qui donne le frisson.

En attendant d’autres occasions de vibrer avec eux [2] et pourquoi pas… un disque ? Louis Sclavis lui-même ne l’exclut pas.

par Denis Desassis // Publié le 7 mars 2011
P.-S. :

Centre Culturel Jean Lhôte, Neuves-Maisons - Samedi 5 février 2011

[1Qui vient, dans un clin d’œil à la vie passée des sidérurgistes de cette région, faire écho à « Loin d’Hagondange », la pièce de théâtre de Jean-Paul Wenzel.

[2Un rendez-vous est fixé le 28 mai 2011 à l’Arsenal de Metz où Louis Slavis conviera Ebony 5t à une nouvelle exploration en compagnie de son quintet « Lost On The Way ».