Chronique

Enrico Pieranunzi

Play Gershwin

Enrico Pieranunzi (p), Gabriele Mirabassi (cl), Gabriele Pieranunzi (vln).

Label / Distribution : CamJazz/Harmonia Mundi

Enrico Pieranunzi est de ces musiciens qui n’aiment rien tant que franchir les frontières. Pas seulement celle qui sépare son pays natal de la France, mais avant tout, beaucoup plus poétiques, celles qui constituent des points de passage entre les musiques. Entre toutes musiques, serait-on tenté de dire. Sa formation, tant classique que jazz, est pour lui le symbole d’une ouverture que le pianiste romain a su faire valoir depuis le milieu des années 70, tout au long d’une bonne centaine de disques en tant que leader ou sideman et de prestigieuses collaborations (Chet Baker, Charlie Haden, Phil Woods, Paul Motian, Lee Konitz, …). Au point que Pieranunzi est devenu l’un des personnages-clés de l’histoire récente du jazz, en Europe et ailleurs.

Au cours des dernières années, Scarlatti, Bach, Haendel ou Debussy ont figuré à son tableau de chasse, ainsi qu’en témoignent différents albums dont le dernier, paru en 2018, a pour titre Monsieur Claude. Et voici venir le tour d’un géant de la musique américaine du XXe siècle, George Gershwin, dont on a récemment fêté les 90 ans de l’une des compositions les plus emblématiques, « An American In Paris ».

On ne boudera pas son plaisir, tant les premières notes de celle-ci emportent l’adhésion. La formule sonore du disque, sobrement intitulé Play Gershwin, est inédite autant que réduite à celle d’un trio singulier, comme une évidence a posteriori : piano, clarinette, violon. Elle a nécessité un gros travail d’arrangement, soit par contraction de la masse orchestrale pour une interprétation à trois instruments, soit pour inventer une circulation de la parole entre ces derniers quand la composition n’en prévoyait qu’un seul, et peut-être aussi pas mal de doutes face à l’ampleur de la tâche à accomplir. Pas de quoi effaroucher le pianiste, toutefois.

Afin de la mener à bien, Enrico Pieranunzi a eu recours à deux Gabriele, frères de. Mirabassi pour la clarinette et Pieranunzi pour le violon. Une histoire de famille, ou presque. Ajoutez une version tout aussi enchantée de « Rhapsody In Blue » et trois préludes (ces derniers étant au départ composés pour piano seul), et vous obtenez un disque léger et tendre comme savait l’être la musique de l’Américain, sans jamais céder à la moindre facilité et sans que soit par ailleurs dénaturée son œuvre du fait de la transformation instrumentale.

Le piano d’Enrico Pieranunzi virevolte comme aurait dansé Gene Kelly, il a en tête le souvenir du ragtime tout autant que celui de Bach ; les échanges avec le violon et la clarinette sont exposés à la lumière d’une joie d’être en musique qui s’avère contagieuse. Il n’en faudrait guère plus pour qu’on se prenne à rêver d’un monde enfin libéré de ses démons. Ce Gershwin-là coule de source et Play Gershwin est une belle façon de signifier son caractère intemporel.