Chronique

Magic Malik

Fanfare XP2

Label / Distribution : Onze heures onze

La question mérite d’être posée : faut-il nécessairement faire un tour en cuisine lorsqu’on est invité à la table d’un chef ? En d’autres termes, connaître les secrets d’une recette permet-il de mieux apprécier un plat ? On pourrait débattre à l’infini et établir un parallèle avec certains musiciens dont le travail fait l’objet d’une méthode préétablie, de nature quasi scientifique. Et que dire de la légitimité d’une chronique lorsqu’elle émane d’une personne qui ne serait pas au fait de toutes les subtilités d’un langage dont l’élaboration repose sur de multiples contraintes ? Attention toutefois, il faut entendre ce mot dans son acception de nature oulipienne, c’est-à-dire synonyme de liberté et de créativité.

Chez Malik Mezzadri alias Magic Malik, on évoque volontiers l’idée d’une charte à laquelle doivent se « soumettre » les musiciens, eux-mêmes invités à participer activement au processus de composition (à la condition d’être capables d’exécuter ce qu’ils demandent aux autres). Ici le nom de code de la langue parlée, qui remonte au temps du Magic Malik Orchestra, serait XP (préfixe du titre de toutes les compositions), celle-ci s’assignant comme objectif de « créer de la complexité avec des éléments rythmiques et mélodiques simples ». Tout ceci, le flûtiste s’en était expliqué assez largement dans un entretien accordé à Citizen Jazz au début de l’année 2018.

Fanfare XP2 est, comme son nom l’indique, presque le deuxième volume de sa Fanfare XP, une formation née d’un partage d’idées avec le saxophoniste Pascal Mabit et le trompettiste Olivier Laisney. Le disque ne déroge pas à ce cadre sévèrement réglementé. On évoque l’obligation de « Taleas Colors », de signatures tonales et des modes d’Olivier Messiaen. On mentionne pour l’occasion des pulsations qui peuvent être « réparties uniformément en sous-groupes » (sic). À la lecture d’un tel énoncé du problème, beaucoup d’entre nous pourraient être tentés de freiner des quatre fers, voire de rebrousser chemin. Trop cérébral, manque d’âme, un poil « intello », loin du groove et d’une conjonction « body and soul ». Là serait l’erreur fatale. Parce qu’un tel disque, au-delà de son jeu de pistes, ressemble à s’y méprendre à un terrain ouvert dont la qualité première, une fois le cadre posé, est bien de nous confronter – c’est là que réside l’idée commune aux trois fondateurs – à une matière première dont le travail s’effectue en temps réel. On pense évidemment aux propos de Magic Malik : « Quand on délivre la musique de la Fanfare XP, on est dans une écoute mutuelle, on se met d’accord, on expérimente des outils de langage. Et ce qu’on reçoit peut être quelque chose de très libre, parfois très fouillis, parfois très désordonné. On recherche le free à travers des formes contraignantes. Cette confrontation des opposés crée du dynamisme, des élans de liberté vers l’ordre, et de l’ordre vers la liberté ».

Disque réellement participatif, Fanfare XP2 est une table ouverte à laquelle chacun des convives ou presque est venu composition en main. On est vite pris dans la danse de ces rythmiques si chères à Steve Coleman et son mouvement B-Base (les deux musiciens se connaissent bien), la fanfare (grand format rappelons-le, puisqu’elle compte treize membres) porte bien son nom tant elle fonctionne comme un ensemble propice aux élans collectifs et à la superposition des strates autant qu’aux échappées solitaires. Tout cela se joue dans l’instant, dans une conversation bien plus spontanée qu’il n’y paraît au premier abord. Redisons-le : c’est la maîtrise du langage commun qui permet aux musiciens de dialoguer sans penser « sujet – verbe – complément », histoire de mieux lancer leurs idées et d’en débattre avec toute la verve nécessaire. Surtout, un indice permet de comprendre qu’on a affaire à un disque de haute volée : Fanfare XP2 génère une forme d’oubli de soi aux allures de tourbillon, il y a de l’ivresse dans l’air. Il s’avère très vite addictif, on veut y revenir. On n’est pas sûr d’avoir tout compris, mais on sait qu’on a entendu beaucoup de belles choses et que d’autres restent à découvrir. Et pour finir, on saluera la qualité du travail entrepris par le label Onze Heures Onze, qui sait conjuguer passion et exigence. Sans oublier la finition actuelle des objets disques dont le cartonnage ne manque pas de charme. Dans le fond comme dans la forme, chaque détail compte !

par Denis Desassis // Publié le 12 juillet 2020
P.-S. :

Les musiciens : Malik Mezzadri (fl, voc, perc), Pascal Mabit (sax), Maciek Lasserre (sax, perc), Johan Blanc (tb), Olivier Laisney (tp), Fanny Ménégoz (fl, voc), Alexandre Herer (Rhodes), Daniel Moreau (kb), Maïlys Maronne (mélodica), Jonathan Joubert (g), Kévin Lam (g), Nicolas Bauer (elb), Vincent Sauve (dms).