Chronique

Fabien Mary Octet

Four and Four

Fabien Marcoz (cb) - Mourad Benhamou (dr) - Pierrick Pedron (s) - Hugo Lippi (g) - David Sauzay (st) - Thomas Savy (cl. b, sb) - Jerry Edwards (tb)

Pur trompettiste de jazz, Fabien Mary fait appel, pour ce troisième album au titre explicite, à un octuor, extension d’un quartette qui a fait ses preuves : une envie d’écrire pour une formation plus étoffée, dans l’esprit des arrangeurs des années 55-65 qu’il admire profondément (Gigi Gryce, Jimmy Heath…). Il s’est adjoint des solistes de talent, une section de vents et de cuivres plus qu’efficace puisqu’il s’agit de Pierrick Pedron à l’alto, David Sauzay au ténor, Thomas Savy à la clarinette basse et au baryton et Jerry Edwards au trombone. Une formation de luxe à notre époque, et qui fait resurgir ce que l’on n’attendait (et n’entendait) plus : le « climax » de cet album très cohérent reste (pour nous) « But Beautiful », une ballade au cœur de la mélancolie.

Fabien Mary est au plus près de sa source, et ce n’est pas parce qu’il aime (entre autres) Kenny Dorham et nous donne envie de réécouter ce trompettiste Blue Note [1] que notre appréciation de cet octuor en grande forme en sera compromise. Dans la présente production discographique - pléthorique -, pourquoi ne pas s’accorder un retour de temps à autre vers des choses connues et aimées ? D’ailleurs, si la recherche d’une musique enfuie anime certains d’entre nous, il ne semble pas que ce soit la nostalgie qui motive le leader de ces trentenaires. C’est simplement le goût, voire l’amour d’une musique et d’une esthétique jugées à l’écart des modes et donc peu « actuelles ». Le trompettiste écrit en référence à un jazz qui le conduit sur le versant bop et hard bop, ainsi que West Coast [2].

Les arrangements qui découlent de ce travail d’hommage sans jamais en porter le titre se déploient selon une belle palette de couleurs et de timbres, de l’intense au délicat, en recherche d’harmonie. Entouré d’une rythmique impeccable (Mourad Benhamou et Fabien Marcoz), Mary continue à s’appuyer sur le guitariste Hugo Lippi [3], compagnon indispensable aux interventions lumineuses.

Quant aux quatre soufflants, ils donnent à l’ensemble une généreuse envergure, entre unissons complices et échappées réjouissantes. Sans
jamais verser dans la brillance aiguë et la seule virtuosité, Fabien Mary dirige son monde avec fermeté mais élégance. Sur certains thèmes, il entre sans éclat, avec une sonorité légèrement voilée. On sera d’autant plus surpris par l’envol qui suit sur « From this Moment On » de Cole Porter, « Hide and Seek », ou « B. G », deux de ses compositions très enlevées, avec de longues phrases si bien articulées qu’on en oublierait presque l’énoncé.

Sans tomber dans une récupération étudiée de l’histoire du jazz, cette formation sérieuse et sensible suit un chemin solitaire, à contre-courant : la leçon a été certes vue et revue, puis revécue et prolongée. Décidément, on aime cet album, avec le cœur et la raison.

par Sophie Chambon // Publié le 17 novembre 2008

[1Pour lequel nous avons aussi un faible.

[2Il a beaucoup écouté le formidable Conte Candoli et le plus qu’estimable Jack Sheldon. On peut aussi préférer le Giuffre des sessions des « Four Brothers » au « Jimmy (joue) free » postérieur.

[3Que nous avons personnellement découvert en live cet été.