Entretien

Félix Zurstrassen et Nelson Veras : deux qui font quatre

Les deux musiciens racontent Nova, leur quartet inventif.

Au-delà de son allure très discrète, le bassiste Félix Zurstrassen est devenu une figure importante de la scène belge. Comme sideman, tantôt à la basse électrique, tantôt à la contrebasse, il participe à un grand nombre de formations : du LG Jazz Collective du guitariste Guillaume Vierset à Urbex, le groupe du batteur Antoine Pierre.
Voici qu’il propose un projet personnel, avec son complice batteur et à partir de ses propres compositions. Au départ, un trio avec l’impressionnant guitariste Nelson Veras, à la technique étonnante, un trio qui se mue en quartet avec l’arrivée du saxophoniste néerlandais Ben Van Gelder rencontré au sein d’Urbex.

- Comment est née cette rencontre avec Nelson Veras ?

Félix : Cette rencontre est née de ma volonté de développer un projet personnel. Après avoir été sideman de différentes formations, j’ai eu envie d’explorer ma propre personnalité, d’écrire mes propres compositions et de développer un projet en tant que leader. Quand on gère son propre groupe, on fait vraiment les choses comme on l’entend. Comme sideman, il y a toujours un peu des compromis à faire dans les choix musicaux, au niveau de certaines compositions qui me parlent moins que d’autres. En écrivant son propre répertoire, on a cette liberté de créer son propre univers. Comme je joue déjà dans beaucoup de groupes avec Antoine Pierre, je voulais trouver un musicien avec lequel nous n’avions pas encore joué, un musicien qui ait une expérience supérieure à la nôtre et qui permette d’explorer une autre direction.

Il y avait cette volonté de sortir un peu du réseau belge habituel et Nelson Veras est un musicien que j’admire depuis longtemps : il possède une technique hors du commun et une sonorité originale qu’on ne trouve chez personne d’autre, que ce soit à la guitare acoustique ou nylon. Par l’intermédiaire de Stéphane Galland, j’ai obtenu son adresse mail et je l’ai contacté pour lui proposer une session, ce qu’on a fait à Paris, le lendemain d’un concert d’Urbex. On a fait une session de trois heures, à partir des morceaux que j’avais écrits en ayant en tête l’apport de Nelson, avec les contraintes rythmiques et harmoniques propres à un trio. Je savais que cela pouvait fonctionner. A la fin de cette session, on a discuté et pris un verre avec Nelson : je lui ai proposé de participer à mon projet et il a accepté.

Félix Zurstrassen © Robert Hansenne

- Qu’est-ce qui vous a incité à accepter cette proposition ?

Nelson : La qualité et la personnalité des musiciens, l’originalité des compositions. Par ailleurs, je connais plusieurs musiciens de la scène belge que Félix et Antoine ont croisés. J’ai souvent joué en duo avec Stéphane Galland. Il a participé à mon album en quartet avec Magic Malik et Harmen Fraanje ainsi qu’à mon trio avec Thomas Morgan. J’ai aussi beaucoup joué avec ((Bo Van Der Werf et son groupe Octurn (albums XP’s Live, 7 Eyes, Kailash) et, en invité, d’Aka Moon (album Amazir),avec Fabrizio Cassol, Stéphane Galland et Michel Hatzigeorgiou qui a été le professeur de Félix Zurstrassen.

- Félix, qu’aviez-vous entendu de Nelson ?

Félix : Ses premiers albums, celui en quartet et celui en trio avec Stéphane mais, surtout, son album solo qui m’a fort impressionné. Et puis, je l’ai vu en concert avec Aka Moon.

- Vous partagez un point commun : 14 ans a été un âge pivot…

Félix : Avant 14 ans, j’avais fait du solfège, un peu de piano mais je n’avais pas encore une accroche précise à un instrument. C’est avec la basse électrique que cela s’est fait à 14 ans. Par la suite, je me suis inscrit au Conservatoire de Bruxelles où j’ai eu Michel Hatzigeorgiou comme professeur. Michel est vraiment un professeur qui m’a bien convenu en ce sens où il n’est pas trop directif : il ne disait pas qu’il fallait travailler ceci ou cela et se gardait d’imposer une direction à la musique que je travaillais. C’est quelqu’un de très ouvert. Par ailleurs, j’étais très intéressé par la musique de Fabrizio Cassol et d’Aka Moon. Donc, avec lui, j’ai pu rentrer dans ce répertoire, travailler les spécificités propres au jazz contemporain, notamment du point de vue rythmique. C’est quelque chose qui fait partie de la culture belge. Par après, j’ai étudié la contrebasse pendant un an avec Jean-Louis Rassinfosse et puis chez Christophe Wallemme pour le master.

Nelson Veras © Robert Hansenne

Nelson : Moi, à 14 ans, j’ai quitté le Brésil pour venir en France. J’avais un frère plus âgé qui y habitait. Au départ, je voulais rester en France pendant six mois et profiter du fait que mon frère était là avec ses enfants. Par la suite, lui est rentré au Brésil et moi, je suis resté. J’ai commencé à jouer, à rencontrer des musiciens comme Jeff Gardner, avec qui j’ai pris un cours puis j’ai été invité à jouer dans son groupe et j’ai participé à l’enregistrement de son album Second Home

Une autre rencontre importante a été celle d’Aldo Romano…

Nelson : On a beaucoup joué ensemble, j’ai eu un quartet avec lui, avec Michel Benita à la contrebasse et Eric Barret au saxophone, et puis j’ai participé à son album Intervista avec Stefano Di Battista. Tout s’est enchaîné très vite. J’ai enregistré avec Magic Malik, Steve Coleman et Airelle Besson : ce duo fonctionnait bien.

- Pour ce projet, Félix, vous avez choisi la basse électrique…

Félix : Oui, d’abord parce que c’est mon premier instrument et puis il était intéressant de faire dialoguer guitare acoustique et basse électrique : ce contraste de sonorités est intéressant et il permet de prendre des solos chacun à son tour.

- Sur quel instrument composez-vous ?

Félix : Je compose toujours au piano puis j’imagine les arrangements, je distribue les rôles.

- Le projet s’est d’abord développé en trio puis a muté en quartet…

Félix : J’ai organisé une première tournée du tro en Belgique pour qu’on apprenne à se connaître, pour que la musique ait le temps de maturer et pas d’aller en studio immédiatement. On a joué à Bruxelles, à la Jazz Station, au Sounds, au Théâtre Marni et au club L’An Vert à Liège en 2018. Après, pour le festival de Dinant en juillet de la même année, j’ai décidé d’inviter Ben Van Gelder, un saxophoniste néerlandais que j’avais rencontré au sein d’Urbex, avec Antoine Pierre. C’est un musicien hors pair qui maîtrise l’alto comme peu de gens. J’avais envie d’essayer d’ouvrir le trio de base à un souffleur pour voir comment la musique pouvait sonner, pour élargir le spectre sonore. Je l’ai contacté et il a immédiatement accepté. Le concert à Dinant a tenu ses promesses, une vidéo est disponible, aussi, quand il s’est agi d’enregistrer l’album Nova pour le label belge Igloo, j’ai fait appel à lui, en tant qu’invité sur plusieurs plages. Et maintenant, nous avons décidé de tourner en quartet.

Pour ce qui est de « April in Paris », c’est moi qui a imaginé l’arrangement : j’ai respecté la mélodie mais j’ai choisi de la jouer sur un rythme un peu plus rapide qui convient bien au jeu véloce de Nelson.

- L’album comprend 9 compositions personnelles et un arrangement original de April in Paris…

Félix : Le premier thème « Aka Star » est une sorte de clin d’oeil à la musique d’Aka Moon, une musique que j’adore et qui est basée sur des quintolets, c’est-à-dire une division originale du temps formées de 5 figures égales. C’est une caractéristique qu’on retrouve dans plusieurs groupes belges. Souvent on écrit des compositions à 4 temps, partir d’un rythme à 5 temps ouvre d’autres perspectives. L’album comprend plusieurs ballades : j’aime accorder une large place à la mélodie, ce qui met parfaitement en valeur la guitare de Nelson. C’est le cas de « Songe d’or » ou de « Clair Nocturne ». Par contre, « Nova » est un thème qui s’inscrit davantage dans la sphère bop, avec un rythme soutenu qui convient bien à la fougue de Ben à l’alto. C’est aussi le cas de « Ymakre » que nous jouons en trio, sans l’apport de la guitare. Pour ce qui est de « April in Paris », c’est moi qui ai imaginé l’arrangement : j’ai respecté la mélodie mais j’ai choisi de la jouer sur un rythme un peu plus rapide qui convient bien au jeu véloce de Nelson.

- Pour cet album, vous avez choisi un ingénieur du son particulièrement expérimenté, Philippe Teissier Du Cros qui a collaboré avec Henri Texier, Michel Portal ou Enrico Rava…

Félix : Et avec Eric Legnini et avec Stéphane Galland pour son album Lobi. C’est Stéphane qui me l’a recommandé. Il a une acuité d’écoute extraordinaire, surtout pour les instruments acoustiques, ce qui m’intéressait pour la guitare de Nelson.Il a tout de suite accepté de collaborer au projet.

- La promotion de l’album a débuté en février…

Félix : Oui, on a joué à Bruxelles, au Bozar, et à Louvain mais les concerts à Liège et à Paris sont différés suite aux mesures de confinement. La sortie française de l’album reste fixée au 3 avril. Enfin, en janvier 2021, nous ferons partie de la tournée du JazzTour organisée par l’association Les Lundis d’Hortense, la plus grande tournée en Belgique et dans le Nord de la France.