Chronique

Dré Pallemaerts

Coutances

Dré Pallemaerts (dms, kb), Mark Turner (ts), Bill Carrothers (p), Jozef Dumoulin (Rhodes, kb).

Label / Distribution : 52Creations.com

Près de neuf ans se sont écoulés entre Pan Harmonie [1] et ce disque publié chez 52 Créations. Le batteur Dré Pallemaerts – au meilleur de son expressivité – réunit à nouveau ce qu’on serait tenté d’appeler sa dream team belgo-américaine : Mark Turner au saxophone, Bill Carrothers au piano et Jozef Dumoulin aux claviers et Rhodes. Le nouvel album s’appelle Coutances, comme la ville normande où se tient le festival « Jazz sous les Pommiers », là où le quatuor s’était installé il y a quelque temps en résidence. Inutile de se cacher derrière les mots : le résultat est d’une beauté impressionniste qui fait de ce disque l’un des probables temps forts du jazz européen en 2016. Coutances est un coup parfait, un tableau musical qu’on peut écouter et écouter encore sans le moindre risque de lassitude. Une toile de maîtres, en quelque sorte.

Six des neuf compositions du disque sont signées Dré Pallemaerts, auxquelles s’ajoutent deux improvisations collectives (« Sun Salutation » et « Moon Salutation ») ainsi qu’une envoûtante reprise de « Première pensée Rose+Croix » d’Erik Satie. Pour cette dernière, Bill Carrothers commence seul, au plus près de la partition, ménageant les silences, avant d’être rejoint par les trois autres musiciens qui entrent dans son intimité méditative sur la pointe des pieds. C’est à la fois magistral et solaire. Pour le reste, le quatuor alterne ballades brumeuses et alanguies (« For Anne », « Oximore », « Seva ») avec des compositions dont le tempo plus soutenu traduit la force tranquille d’une équipe habitée par la grâce et un groove d’une élégante souplesse (« Bela Monte », « Brussels Parijs » dont le titre évoque sans nul doute un hommage rendu aux deux capitales récemment devenues malgré elles sœurs de sang). Dans cet ensemble aux climats souvent éthérés, « Vrittis » tranche assez nettement, par les appels lancinants du Rhodes de Jozef Dumoulin et son côté plus débridé, où les attaques du saxophone de Mark Turner résonnent d’accents plus torturés. Souvent contemplative, la musique de Coutances se fait alors beaucoup plus inquiète, en prise avec le quotidien.

On ne sait ce qu’on doit le plus admirer tout au long de l’album. Est-ce la frappe retenue de Dré Pallemaerts qui semble ici comme en lévitation ? Écoutez le batteur sur « Seva » en conclusion de l’album, porté par les seuls claviers, faire une démonstration éclatante de la richesse de ses timbres et de la précision presque chirurgicale de son drumming. Il vient nous rappeler, sans ostentation, qu’il est bien l’un des plus enthousiasmants spécialistes de l’instrument. Ou bien est-ce le néo-classicisme aux intonations romantiques de Bill Carrothers ? Le chant introspectif, voire mystique, des anches de Mark Turner ? Les claviers de Jozef Dumoulin qui continue de fasciner par sa façon d’explorer des contrées baignées d’une lumière à la fois trouble et vespérale ? La réponse est évidente : ces quatre forces placées sur un pied d’égalité parviennent à un point d’équilibre devant lequel on ne peut que s’incliner.

Coutances vient de la brume, s’avance vers nous avant de repartir vers son mystère. Il est assurément un disque addictif.

par Denis Desassis // Publié le 3 juillet 2016

[1Publié en 2007 chez B Flat avec comme invité le trompettiste Stéphane Belmondo.