Chronique

François Cotinaud, Benjamin de la Fuente & Ensemble Multilatérale

Mosaïques

François Cotinaud (dir, comp), Benjamin de la Fuente (comp), Ensemble Multilatérale

Label / Distribution : Musivi

Un disque objecrivement catégorisé comme se classant dans la musique contemporaine a-t-il sa place dans les colonnes de Citizen Jazz, avec un élu qui plus est ?

A ceux qui se poseraient encore la question en ces termes, il faudrait tout expliquer de la porosité, de la sororité (musique, nom féminin) et de l’importance des figures qui n’ont jamais souhaité entrer dans les cases, et ventiler les préjugés façon puzzle... Ou en l’espèce, plutôt Mosaïques puisque c’est le nom de l’œuvre confiée par Benjamin de la Fuente au Soundpainter François Cotinaud pour relecture et accélération des particules grâce à l’Ensemble Multilatérale. Le premier est membre de Caravaggio. Le second a animé l’Algèbre Trio et l’orchestre que Yann Robin a confié aux deux compositeurs participe actuellement au dernier avatar de l’ONJ Olivier Benoit. Faut-il argumenter davantage ? Pour les récalcitrants, « Du nu dans les bleus » emportera les derniers préjugés : le mouvement qui naît dans chaque fibre des cordes, y compris dans les plus ténébreuses du piano de Lise Beaudoin est une infime lame de fond exploitée par le clavier à percussions d’Hélène Colombotti. Mosaïques est une musique libre, et c’est bien tout ce qui compte.

Le Soundpainting en France doit beaucoup à François Cotinaud, même si des formations comme le Surnatural Orchestra ou le Large Ensemble de Frantz Loriot utilisent des bribes de ce langage théorisé par Walter Thompson. Infatigable promoteur de cette grammaire, Cotinaud avait marqué les esprits avec le Klangfarben Orchestra sur Ayler Records, et depuis longtemps, le multianchiste, qui ne joue pas ici, mâtine sa musique de Soundpainting comme on fait des mosaïques : « Découper, colorier, coller », le premier titre du présent album vaut tous les manifestes. Le système de Thompson offre des formes ouvertes, de la liberté dans les contraintes supposées des partitions. Il permet surtout cette responsabilité individuelle de la dynamique collective cher aux musiques improvisées. Dans ce schéma, le tromboniste Matthieu Adam, remarquable de bout en bout, a un formidable rôle de passeur dans les « Aires de jeux acoustiques ». On y assiste à des micro-courses entre vents et cordes, parsemées de petits éclats qui font songer à Kurtág par leur aspect miniature et le rôle du piano, qui s’entend à merveille avec la harpe d’Aurélie Saraf, par ailleurs précieuse improvisatrice.

Ce qui frappe avant tout dans Mosaïques, c’est qu’il n’y a pas de hiérarchie dans l’orchestre, ce qui ne remet pourtant pas en cause sa structure. Lorsqu’on analyse attentivement le délicat « Clé de voûte », le rôle du piano, évident à la première écoute s’efface au profit d’un arc solide qui réunit le trombone, la trompette de Raphaël Duchateau, les flûtes de Samuel Bricault mais surtout le hautbois de Diane Chirat-Battello, grande créatrice d’espace pour le reste de Multilatérale. Cotinaud avait fait parler Rimbaud et son double, s’était emparé de Queneau, le voici qui explique à un orchestre rompu aux émancipations de Stockhausen ou Cage comment nouer les liens qui libèrent grâce au Soundpainting. Le résultat est patient, méticuleux et s’apprécie à grande échelle. C’est le propre des Mosaïques.

par Franpi Barriaux // Publié le 8 juillet 2018
P.-S. :

Ensemble Multilatérale :
Flûte : Samuel BRICAULT, Hautbois : Dianne CHIRAT-BATTELO, Clarinette : Bogdan SYDORENKO, Trompette : Raphael DUCHATEAU, Trombone : Mathieu ADAM
Percussion : Hélène COLOMBOTTI, Harpe : Aurélie SARAF, Piano : Lise BAUDOUIN, Violon : Pieter JANSEN, Violoncelle : Pablo TOGNAN