Chronique

Grencsó Open Collective with Lewis Jordan

Local Time

Label / Distribution : BMC Records

On avait hâte, après Homespun in Black and White, leur précédent album - très remarqué -, de retrouver ensemble Istvan Grencsó et Lewis Jordan, deux figures du free dans leurs contrées respectives. Local Time, également sorti sur le label Budapest Music Center, restitue toute l’énergie de ces deux grands saxophonistes improvisateurs. C’est à nouveau à la tête de son Open Collective, véritable figure de proue du jazz hongrois dès les années 80, que le premier invite le second. L’Américain mêle avec jubilation ses poèmes et son alto de rocaille à ce groupe influencé par Roland Kirk ou Albert Ayler - filiation qui s’incarne dans les timbres entremêlés des soufflants comme dans leurs rhizomes épris de liberté. Cet album tire sa sève d’un blues pugnace qui file droit devant, de Chicago à l’Orient, en faisant escale dans la puissance brute d’un rock sous acide ; « Led » met en valeur la puissance de Szilveszter Miklos batteur nouveau venu et robuste assise d’une base rythmique énorme, tout en instillant un hommage discret à Led Zeppelin.

Importante évolution, l’Open Collective devient un quintet en perdant son percussionniste et accueille le contrebassiste Róbert Benko, aperçu sur le Lung-Gom-Pa de Gábor Gadó, en lieu et place du violoncelle. Plus que sur le précédent album, le tromboniste et trompettiste Hans Van Vliet est la clef de voûte de cette formation. Il est souvent le boutefeu des morceaux, celui qui intime ou infléchit les directions à suivre, mais aussi celui qui donne sa densité à l’ensemble - notamment sur « Local Time », où il développe le thème avec beaucoup d’autorité. Il s’offre même un rap frénétique dans une adaptation très personnelle et réjouissante du « Pedal Up » de Rahsaan Kirk, qui expose à lui seul toute l’évolution d’un Open Collective émacié et plus vindicatif, efficace sans céder à la facilité.

Il en résulte une musique plus directe et plus profonde, taillée au cœur du groove, et qui oblige le leader à diversifier les timbres, en troquant notamment son ténor pour la clarinette basse - sur laquelle il excelle - ou le son pincé du doudouk sur le beau « Better Alone Than Apart ». L’intensité des deux basses, placées chacune sur un canal – à gauche pour Benko, à droite pour Ernö Hock, qui joue également de la basse électrique - apporte un ton plus dur, ainsi que des couleurs plus vives. On le constate dès le premier morceau, « Over The River, Under The Bridge ». La rugosité rythmique pose en un instant le ton de l’album. La tension acide de la basse électrique contrebalance la belle rondeur de Grencsó, soutenu par le jeu très nerveux de Benko. Cet écrin dont semble se délecter Lewis Jordan confère une force et une emphase inouïe à son « Poem for The Homeless », égrené au cœur du morceau.

Globalement, les textes de Jordan se posent avec finesse sur la musique de l’Open Collective. Son « Old School » empourpre la marche funèbre de « Lord I’m Coming Home », hommage à Ayler éclairé par l’archet des contrebassistes, et lui donne d’ardents atours de chant de lutte.

Local Time est un disque d’une grande richesse, indispensable pour tous les amoureux de la Great Black Music qui a trouvé en Europe Centrale un asile poétique galvanisant.

par Franpi Barriaux // Publié le 5 décembre 2011
P.-S. :

Musiciens : István Grencsó (ts, bcl, duduk), Lewis Jordan (as, voc), Hans Van Vliet (tb, tp, voc), Róbert Benkó (b - left side), Ernö Hock (b, elb - Right Side), Szilveszter Miklós (dms)