Chronique

Gábor Gadó – Veronika Harcsa Sextet

Shekhinah

Gábor Gadó (g), Veronika Harcsa (voc), János Ávéd (ts, ss, fl), Laurent Blondiau (tp), Éva Csermák (vln), Tamás Zétényi (cello).

Label / Distribution : BMC Records

Gábor Gadó est une des figures de proue du label BMC Records. Le guitariste hongrois, 66 ans aujourd’hui, a fait quasiment l’intégralité de sa carrière discographique dans cette institution, devenue au fil des ans une référence de la musique créative en Europe. Pour ce nouvel album, il partage l’affiche avec la chanteuse, hongroise elle aussi, Veronika Harcsa, de 25 ans sa cadette. Très connue en Hongrie, on la découvre un peu plus dans Shekhinah. Sa tessiture étendue lui permet des arabesques dantesques ; son bagage technique est immense : il emprunte autant aux canons du chant lyrique qu’à une certaine expérimentation qu’on retrouve davantage dans la musique contemporaine.

Pour la soutenir, Gábor Gadó s’est entouré d’un sextet de haut vol, composé de musiciens fidèles dont le saxophoniste János Ávéd et le trompettiste belge Laurent Blondiau, avec qui il enregistra respectivement Whispering Quiet Secrets Into Hairy Ears et Veil And Quintessence, déjà chez BMC. La culture, la technique ainsi que la grande plasticité de tous ces musiciens leur permet de jouer à la fois des morceaux très écrits comme le magnifique « Mi lusinga il dolce affetto », un air tiré de l’opéra de Haendel Alcina, mais également des parties beaucoup plus improvisées.

L’écriture de Gadó se révèle toujours très précise, sophistiquée et délicate. Influencée par la musique classique (baroque notamment), la narration y est d’une extrême fluidité. Le guitariste ménage tensions, ruptures et horizons d’attente. Les arrangements sont ouvragés. Les textes de Veronika Harcsa se posent merveilleusement sur sa musique, les mots s’imbriquant avec beaucoup de style dans le jeu des instrumentistes.

Deux longs morceaux ouvrent et clôturent l’album. Ils encadrent des compositions qui vont d’un chant presque liturgique (« Patience Is Gold ») à des morceaux plus bruitistes portés par les vocalises acrobatiques et aériennes de Harcsa (« Drepung ») en passant par des ballades réverbérées (« The Promise ») illuminées par la trompette de Laurent Blondiau.

Le morceau d’ouverture « Colours Ballet » est un petit bijou d’écriture ciselée où le guitariste joue sur les nuances, les couleurs et les associations de timbres. Tantôt proche d’une ambiance chambriste, la musique se déploie dans des accents presque pop, portée par la guitare cristalline de son leader. On pense parfois à Joni Mitchell ou Björk. Le grandiloquent « Ustvolskaya » referme l’album d’une manière tendre et apaisée avant que l’orchestre ne s’embrase et s’aventure dans des contrées très libertaires. Épique.

Shekhinah se situe à la croisée des mondes et des musiques. Jazz, classique, contemporain. Les frontières sont poreuses. Gadó et sa bande les enjambent avec élégance et lyrisme. Et nous, on reste bouche bée devant tant de beauté.