Chronique

George Lewis

The Complete Remastered Recordings On Soul Note

Label / Distribution : CamJazz/Harmonia Mundi

Pour son vingt-deuxième coffret depuis qu’il a racheté les mythiques Italiens Black Saint et Soul Note, le label Cam Jazz nous replonge dans l’œuvre du tromboniste George Lewis, musicien passionnant situé au carrefour des musiques écrites et improvisées. Ce panorama très intéressant est proposé dans un coffret de cinq disques allant de 1978 à 1987, via des périodes assez distinctes qui témoignent de sa large palette.

Les deux albums des années 80 renferment un jazz plus conventionnel : en compagnie de Misha Mengelberg et de Steve Lacy, le tromboniste revisitait alors le patrimoine de la « Great Black Music », par exemple Herbie Nichols à qui il consacre un album entier (Change Of Season, 1984), tandis qu’avec le quintet de Dutch Masters, paru en 1987, on peut aussi apprécier une version pugnace du « Off Minor » de Monk. C’est la complicité avec Lacy qui fait le principal intérêt de ces deux disques. Si ces deux disques permettent de découvrir les vertus nourricières du jazz dans la musique de Lewis, et d’affirmer qu’il est un des meilleurs techniciens du trombone, ils restent néanmoins très en dessous de ce que le coffret propose par ailleurs [1].

Ce sont les trois albums des années 70 qui offrent la face la plus radicale et captivante du travail de Lewis. La grande richesse des timbres, renforcée par l’usage de dispositifs électroniques omniprésents, ainsi que la microtonalité que permet le l’instrument, servent une musique complexe qui se passe de batterie. On ne peut s’empêcher de songer à Anthony Braxton, avec qui Lewis joue depuis le milieu des années 70 (en petites formations comme au sein du Creative Orchestra), en écoutant Hommage to Charles Parker, paru en 1979. Avec Douglas Ewart (plus Anthony Davis au piano et Richard Teitelbaum aux divers claviers) il livre deux longues pièces intenses et sépulcrales où l’esprit de Parker semble parfois sortir des limbes et du tissu cotonneux des nappes électroniques. On retrouvera cette sensation très abstraite grâce à l’utilisation de voix enregistrées au cœur de la masse orchestrale dans le très contemporain « Shadowgraph, 5 (sextet) » sur l’album du même nom, en compagnie notamment de Muhal Richard Abrams au piano.

Cette entente avec Ewart donnera lieu à un duo (Jila-Save Moon ! - The Imaginary Suite, 1979), pièce maîtresse de ce coffret. Que ce soit à la flûte où à la clarinette basse, l’architecture timbrale que bâtit Ewart autour du trombone est époustouflante. « Jila » est un morceau luxuriant où les jeux d’embouchures très étendus de Lewis offrent beaucoup de relief. Mais on s’arrêtera principalement sur « The Imaginary Suite », qui symbolise toutes ses recherches autour des textures et du timbre. La clarinette basse et le trombone qui semblent percer d’une nuée d’électronique s’expriment avec un lyrisme économe. On peine à croire que ce disque si moderne date de près de quarante ans. Le coffret, nonobstant sa relative hétérogénéité, permet de confirmer le talent du tromboniste et constitue une entrée en matière idéale dans sa démarche musicale. Incontournable pour les discothèques exigeantes.

par Franpi Barriaux // Publié le 28 janvier 2013
P.-S. :
  • Shadowgraph, 5 (sextet) : George Lewis (tb, sousa, tu, Moog), Muhal Richard Abrams (p), Anthony Davis (p), Douglas Ewart (bcl, fl, basson, ss, fx), Roscoe Mitchell (as, bs, fx), Leroy Jenkins (vla), Abdul Wahud (cello)
  • Jila-Save Moon ! - The Imaginary Suite : Douglas Ewart (fl, bcl, perc), George Lewis (tb, perc, elec)
  • Hommage to Charles Parker : George Lewis (tb, elec), Douglas Ewart (bcl, as, perc), Anthony Davis (p), Richard Teitelbaum (cla, synth)
  • Change of Season : George Lewis (tb), Steve Lacy (ss), Misha Mengelberg (p), Arjen Gorter (b), Han Bennink (dms)
  • Dutch Masters : George Lewis (tb), Steve Lacy (ss), Misha Mengelberg (p), Ernst Reijseger (cello), Han Bennink (dms)

[1Quitte à y inclure des disques ou Lewis n’est pas leader à strictement parler, on aurait aimé retrouver le Free To Dance de Marcello Mellis, (Black Saint, 1978) avec Lester Bowie et Don Pullen, entre autres…