Chronique

Wanderlust Orchestra

Label / Distribution : Music Box Publishing

Chaque langue a ses expressions idiomatiques, ses concepts bien à elle qui n’ont pas forcément de sens dans une autre culture. Seule la musique, dit-on, est suffisamment universelle pour être compris par tous ; ceux qui la connaissent bien savent que c’est globalement faux, mais s’il y a une once de vérité, c’est dans la capacité qu’elle a à exprimer l’indicible. En est-il de même pour l’intraduisible ? C’est à quoi le Wanderlust Orchestra tente de répondre en huit morceaux et autant de langues, de l’arabe au suédois. Un seul jargon utilisé en retour, celui d’un jazz orchestral assisté du babil d’Ellinoa, le nom de scène de Camille Durand qui s’entoure d’une large palette de timbres assurée par treize artistes, dont un quatuor de cordes particulièrement malléable où brille la violoncelliste Juliette Serrad, qu’on a pu entendre avec Isabel Sörling. Les choix instrumentaux de la chanteuse sont audacieux, avec un goût pour l’onctuosité entre soufflants et cordes, en témoigne « Interlude I » pièce fort écrite où brille la flûte de Sophie Rodriguez avec les violons d’Adélie Carrage et Anne Darrieux.

Wanderlust, en lui-même, est un mot anglais intraduisible qui définit la bougeotte, le besoin de voyage, le désir d’aventure. Il va à ravir à cette bande de jeunes trentenaires issus des lieux d’apprentissage parisiens (l’école Lockwood en tête) qui se sont lancés dans l’aventure du grand format [1] avec la foi du charbonnier. En musique, « Wanderlust » se traduit par une escapade très fluide qui parcourt les pupitres jusqu’à l’instrument-voix ductile de Durand, qui assure la direction de l’orchestre en laissant la souple rythmique (Arthur Henn à la basse, Gabriel Westphal à la batterie) guider l’escapade comme on borne une route. Dans une atmosphère et une langue différente, « Komorebi » use d’une autre recette. Pour transcrire ce vocable japonais qui évoque les rayons du soleil qui tombent comme des feuilles, elle laisse les cordes distribuer une tournerie qui offrira de nombreuses variations. Un résultat chatoyant et chaleureux qui permet de visualiser le mot, à défaut de le comprendre.

Évoquer les mots sans en prononcer un seul. Le parti-pris de Wanderlust est périlleux, mais il tient sur la longueur, grâce à une grande diversité dans les arrangements proposés et au choix d’Ellinoa (qu’on retrouve dans Theorem of Joy et Les Rugissants, un autre grand format) de s’appuyer sur des relais puissants dans l’orchestre comme le hautboïste Balthazar Naturel ou le pianiste Richard Poher. Sur le très beau « Mångata », qui lui aussi parle de lumière et de perception, l’amalgame de son entre Naturel et le très jeune tromboniste Paco Andreo est la clé d’une musique chambriste et inspirée. Elle renoue avec une certaine tradition du Big-Band à la française, d’Antoine Hervé à Denis Badault. Ce premier album est une bouffée d’air frais, et l’on se réjouit d’y voir émerger six musiciennes. Tout ce petit monde est jeune, il y a donc une marge de progression appréciable. Souhaitons qu’ils s’en servent pour cabosser et érafler un peu une musique qui se laisse parfois aller à la joliesse. Mais avec une arrangeuse comme Camille Durand, il est humain de ne pas résister aux gourmandises !

par Franpi Barriaux // Publié le 17 juin 2018
P.-S. :

Camille « Ellinoa » Durand (voc, comp, dir) Anne Darrieumerlou, Adélie Carrage (vln), Hermine Péré-Lahaille (vla), Juliette Serrad (cello), Sophie Rodriguez (fl), Paco Andreo (tb), Pierre Bernier (ts), Illyes Ferfera (as), Balthazar Naturel (hbt, fh), Matthis Pascaud (g), Richard Poher (p), Adélie Carrage (b), Gabriel Westphal (dms)

[1L’orchestre a vite rejoint la Fédération Grands Formats dont Camille Durand est devenue une membre active.