Chronique

Tania Giannouli

Solo

Tania Giannouli (p)

Label / Distribution : Rattle Records

C’est un mystère. Lorsqu’on découvre l’agenda de Tania Giannouli (concerts passés ou à venir), on est interloqué de voir les programmateurs hexagonaux l’ignorer avec une constance étonnante. Ce n’est pas faute d’avoir souligné les qualités de cette pianiste grecque : à l’occasion de la parution de son album en trio, In Fading Light, au début de l’année 2021 (« une musicienne de premier plan, capable aujourd’hui de partager, dans leur expression la plus directe, les élans d’un cœur qui bat très fort ») ou du mystérieux Rewa en 2018 (« Une errance dans un temps qui ne compte plus »). Récemment, notre collègue Anne Yven est revenue enchantée après sa prestation en solo au Jazzfest de Trondheim (« La musique coule, comme si elle voulait tout recouvrir, la ponctuation est menée par les flots de la main droite »). Et on peut en savoir un peu plus sur cette musicienne à la faveur d’un récent entretien.

Faisons fi de cet évitement coupable et répétons-le : Tania Giannouli, pianiste habitée, tient entre ses mains les cartes d’une musique de l’exploration, qui sont d’autant plus décisives qu’elles nourrissent une création de passions affleurant au sein de chacun de ses projets (en trio, avec la chanteuse Maria Pia De Vito, le percussionniste Michele Rabbia ou plus récemment, son condisciple Nik Bärtsch). Musique classique, contemporaine ou folklorique, improvisation, recherches électroacoustiques… son champ d’investigation est large et se trouve aujourd’hui comme encapsulé dans une aventure en solitaire qui suscite émotion et admiration.

L’exercice du piano solo est redoutable, l’histoire du jazz regorge d’expériences marquantes et les héros de cette aventure peuvent laisser des traces indélébiles dans les esprits. Pourtant, à l’écoute de Solo, on est conquis par le chant intérieur qui peuple les rêves et les espoirs de Tania Giannouli, entre élans romantiques et évocations folkloriques. Parfois préparé, mais avec discrétion et discernement, soumis aussi à de puissantes vibrations, son piano laisse libre cours à une narration ici structurée en vingt-quatre chapitres, parfois brefs, mais d’une intensité qui jamais ne relâche son emprise. On comprend à l’écoute de ces histoires que Tania Giannouli atteint une forme d’abandon, ouvrant en grand les portes d’un imaginaire d’où émane, comme le soulignait d’ailleurs Franpi Barriaux dans sa chronique de Transcendence, « un cri d’amour à sa terre qu’elle attache avec force à l’Europe, dans un mélange de tristesse et d’espoir ». Le cœur a ses raisons que la raison ignore, dit-on. Celui de Tania Giannouli bat fort, très fort. Il est grand temps de l’entendre.