Chronique

Henri Texier Strada Sextet

(V)IVRE

Sébastien Texier (cl, as) François Corneloup (ss, bs) , Guéorgui Kornazov (tb), Manu Codjia (g), Christophe Marguet (dm), Henri Texier (b)

Label / Distribution : Label Bleu

En cette période de relatif assoupissement des consciences, (V)ivre sonne comme la musique de la Révolte, ou du moins comme une revendication d’exister, thème fort sartrien s’il en est. L’engagement de cette musique ne réside pas en effet dans la simple évocation des onze titres du disque mais dans l’énergie et la ferveur véhiculées par Texier et ses cinq militants. La comparaison avec le Liberation Music Orchestra paraît légitime par deux ou trois aspects, essentiellement formels : Henri Texier à la contrebasse entouré du jeune gratin français du jazz libre et des musiques improvisées, un foisonnement d’ensemble qui conduit souvent à l’ivresse sonore, des influences musicales (alter- ?) mondialistes mais que l’on situerait plutôt du coté de l’Europe de l’Est ou de l’Orient que de l’Amérique latine.

Texier père signe la majorité des pièces : « Old Dehli », la longue suite introductive de plus de dix minutes nous place immédiatement dans une ambiance festive et engagée. Les thèmes orientalisants joués à l’unisson guitare/saxophones, les roulements de caisse claire, ou le solo de Kornazov sur un motif cyclique très simple du baryton évoquent par moment le délire bachique des films de Kusturica ; Corneloup, Codjia et Marguet improvisent avec rage et passion ;Texier fils atteint un paroxysme d’inspiration et de verve sur un accompagnement mystique et inquiétant, passage évoquant un croisement du Gato Barbieri de « Escalator over the Hill » et du son klezmer de Masada.
Avec ses cinq autres compositions, plus courtes, Henri Texier retrouve par moment le caractère épique de l’ouverture, en particulier le temps d’un « Blues for L.Peltier » , galvanisante marche pour les droits des amérindiens et de Leonard Peltier. De façon générale on ne peut rester qu’admiratif devant le lyrisme et l’apparente simplicité des thèmes. Que ce soit avec « Lady Bertrand », « Dance Revolt », « Decent Revolt » ou « Black March Revolt » les quelques notes bien senties ne nécessitent pas un arsenal harmonique délirant pour exhaler leur poésie, inviter au voyage, apaiser l’âme ou finalement nous convier à la danse. Le jeu de la contrebasse fait écho à la grâce des mélodies, aérien dans l’improvisation ou subtilement délicat dans l’accompagnement.
Les autres musiciens amènent chacun de courts morceaux très dissipés qui viennent rompre le discours du sage Texier. On le regrettera éventuellement à une première écoute mais ces cinq touches parfois assez free ont le mérite de surprendre, de déranger et d’éviter ainsi une possible lassitude de l’auditeur : « Too late too be passive » rappellera brièvement l’esprit « Song X », le calme « Gandhi » de Manu Codjia révèle également des sonorités de guitare à la Bill Frisell sur des arrangements complexes de cuivres ; « Silent Revolt » et « Ludique Révolte » sont riches en matériau auditif, avec un passage très similaire chez Kornazov et Corneloup, à la fois déjanté par les timbres et rigoureux dans son agencement rythmique. Enfin, si Christophe Marguet ne convainc pas spécialement avec la danse crépusculaire « Light Hope », sa dynamique protéiforme anime tout le disque, tambours païens ou martiaux, chabadas vengeurs, ballets aux antipodes du mécanique, touches impressionnistes… qui disait que les batteurs français manquaient de nuances ?

La musique du Strada Sextet invite donc à l’hédonisme avec subtilité, une absence de dogmatisme idéologique ou musical, qui n’exclut en aucun cas la transe ou une simple euphorie, bien au contraire. Pas besoin d’être gris pour jouir de (V)ivre, il dissipe le givre gris et nous rend grive…

par Julien Lefèvre // Publié le 29 novembre 2004
P.-S. :

A écouter également : Bande originale de « Holy Lola » (Bertrand Tavernier)

Prochain concert : Soirée TSF du 20 Décembre 2004 à l’Opéra Comique (Paris)