Tribune

Hubro, dix ans et un top 5

Pour les dix ans du label, les choix des professionnels.


Pour résumer dix ans de sorties du label Hubro, on a demandé à quelques personnalités du jazz de choisir et commenter leurs 5 disques préférés.

Mathieu Durand (Le Gri-Gri Radio)

Skadedyr - Kongekrabbe
Le groupe par lequel j’ai découvert le label. Je les avais vus et appréciés par hasard lors du festival Match & Fuse à Oslo et j’avais gardé leur nom en tête car je trouvais qu’ils faisaient en Norvège exactement ce que faisaient en France les gens du collectif Coax : une sorte de vrai-faux jazz noise aussi lyrique qu’impertinent.

Christian Wallumrød - Pianokammer
En plus d’être un magnifique exercice de piano solo au blues intimiste, ce disque est tout un symbole. Car Christian Wallumrød est un musicien à l’influence énorme. Et le voir débarquer du label ECM pour venir chez Hubro, c’est comme voir Neymar partir de Barcelone pour le PSG.

Erik HonoréHeliographs
Pour moi, c’est tout simplement le meilleur disque de Hubro et l’un des disques les plus importants dans le monde du jazz électronique de ces dernières années. La dream team du genre à son apogée : Sidsel Endresen, Arve Henriksen, Erik Honoré et Jan Bang, Eivind Aarset… Une perfection de fragilité cinégénique qui pourrait servir de B.O. à des blockbusters de science-fiction comme à des fresques romantiques.

Moskus - Mirakler
S’il y a bien une formule avec laquelle il est difficile d’innover, c’est bien le piano-basse-batterie. On a l’impression que tout a été dit, fait, pensé. Et pourtant, ce trio réussit à surprendre avec un esprit très contemporain, dans le sens où il zappe très vite d’une idée à une autre. Résultat, ça sonne parfois comme si John Zorn était né à Oslo.

Hilde Marie Holsen - Lazuli
C’est pour ce genre de disque que j’aime Hubro. Quand je le reçois, j’ignore tout de cette fille et avec ce disque, je suis allé au-delà de la curiosité. Au départ, on pourrait croire à une sorte d’héritière d’Arve Henriksen. Mais non, c’est bien plus que ça, c’est une sorte de double maléfique. Un peu comme les gens dans le miroir du film Us de Jordan Peele. Fascinant.


David Koperhant (TSF Jazz)

MoskusUlv Ulv
J’adore cette manière d’utiliser l’espace comme un instrument à part entière. Là, c’est un centre d’art norvégien à la réverbération abyssale dans lequel se fondent l’harmonium, la batterie, un violon et un piano préparé. Voilà pourquoi les grooves neurasthéniques de Moskus me donnent l’impression de flotter dans un épais brouillard… de la folk pour fantômes en quelque sorte. Un peu monochrome, disait la review de Citizen Jazz ? Pas faux mais après tout, les fantômes sont rarement tordants.

Erland DahlenClocks
Ce disque m’a immédiatement fait penser au « Bell Laboratory » de Pantha Du Prince mais en beaucoup plus fort ! Collectionneur de cloches, gongs, scies musicales et autres vieux machins, le Norvégien Erland Dahlen est à mi-chemin entre l’homme-orchestre et le savant fou. Encore une fois chez Hubro, le travail sur le son, la forme et la texture accouche d’une musique poignante, progressive et complètement folle.

Building InstrumentKem Som Kan Å Leve
Et si les Beach Boys s’étaient roulés dans la neige avec les Islandais de Sigur Rós ? Derrière la voix elfique et les arrangements psychédéliques, on devine des restes de folk scandinave, et toujours cette production habile qui souffle le chaud et le froid : ici des samples, là un kazoo, des tambours, etc… Un disque d’hiver, a écouter dans son igloo. 

Erlend Apneseth Trio With Frode Haltli – Salika, Molika
À la mode des fameux field-recordings d’Alan Lomax, le violoniste Erlend Apneseth est allé fouiner dans les archives de son comté au nord-ouest d’Oslo, d’où il a ramené des bribes de chants et de spoken-word. Ceux-ci font la sève de cet album folk et rétro-futuriste à base de cordes, d’accordéon et d’électronique. Écoutez donc « Talke » : depuis quand les folkeux norvégiens s’amusent-ils avec les rythmes gnawas ?

Øyvind Torvund The Exotica Album
Un Norvégien qui, visiblement, a trop abusé des compilations Ultra-Lounge et des Dreamers de John Zorn. Mais ce n’est pas tout : derrière le vernis chatoyant et les chants d’oiseaux affleurent quelques relents de musique contemporaine et sérielle, parfois une pointe de Dutilleux, de la harpe, des cordes, des tambours… Du coup on appelle ça comment ? du contempo-lounge ? de l’alter-easy-listening ? 


Alex Dutilh (France Musique)

Frode Haltli - Avant Folk
Un déluge d’harmonies (accordéon, harmonium, deux guitares), une association acidulée des violons et du saxophone où percent des rayons de trompette et des échappées sonores évoquant les bacchanales d’un village ivre de neige.

Moskus - Mestertyven
Le second épisode de la jeune carrière du trio est on ne peut plus explicite : imaginer une autre approche du trio où l’incongru, le ludique et les zébrures sont érigés en règles d’un jeu où les zigzags et les brouillages sonores servent de ligne claire. 

Skydive - Sun Sparkle
Douces violences et éclats de soie… Un son résolument collectif et un jeu narratif autour des couleurs moirées d’une guitare atmosphérique, d’une basse envoûtante et d’une batterie scintillante. Dix nocturnes solaires. 

Splashgirl - Field Day Ritual
La tentation du silence et le choix de l’occuper par le versant suggestif, de le découper en éléments de puzzle plutôt que d’en proposer un tableau figuratif. L’émotion d’entre les lignes, d’entre les notes. Celle des points de suspension qui se proposent en miroir.

Geir Sundstol - Brødløs
Un all-star de la scène norvégienne rassemblé autour d’un décor sonore de western du cercle polaire. La nostalgie du futur antérieur, celle des paradis perdus à l’instant où l’on y pose un pied. Un imaginaire brûlant de fraicheur.


Andreas Melands (Hubro)

Geir Sundstøl : Brødløs
Geir Sundstol avait participé à 260 sessions d’enregistrement avant de m’approcher, mais n’avait encore jamais rien publié en tant que leader. Son solo “Brødløs” a été publié l’année dernière et a remporté un Grammy Award. C’est l’un des disques que j’ai le plus écoutés, sa musique reflète nombre d’influences très personnelles. Geir dit qu’il aime la musique triste : moi aussi.

Building Instrument : Kem Som Kan Å Leve
Le trio porté par la chanteuse et improvisatrice Mari Kvien Brunvoll a débuté avec une musique électro-acoustique, puis s’est tourné vers quelque chose de plus électronique. La voix de Mari et le son du groupe me frappent toujours, quel que soit le moment et l’endroit où j’écoute leur musique.

Kim Myhr : You I me
Dans la longue liste des excellents disques que j’ai eu l’opportunité de publier en 2017, “You I me” est celui que j’ai le plus écouté cette année-là. Deux longues pistes, l’une acoustique et l’autre plus électrique et minimaliste, mais riche en couleurs et en détails. Le meilleur travail de Kim Myhr à ce jour et pour moi, tout simplement un classique.

Erlend Apneseth Trio : Åra
Ce trio, qui mélange éléments folkloriques et musique expérimentale de façon naturelle et organique, me tient particulièrement à cœur. Je m‘immerge rarement en studio avec les artistes mais là, je suis ce groupe depuis le début et j’ai co-produit tous leurs albums.

Stein Urheim : Stein Urheim
Cet album a été enregistré en plein hiver au studio Ole Bulls home at Lysøen. Il y régnait un froid polaire mais heureusement Stein y appréciait l’acoustique ! On y entend des éléments de musique folk chinoise, d’électronique, l’ombre de John Fahey… rien d’une fusion forcée, tout simplement un miroir de la personnalité et des goûts de Stein.


Antonin Lennes (My Music Enterprise)

Building Instrument - Mangelen Min
Building Instrument, c’est un peu le point de rencontre entre culture savante et culture populaire. Une musique inspirée du baroque classique couplée à une orchestration électro-pop ! Le morceau “Sangen Min” est un bel exemple de tout cela. Les nappes sonores quasi orchestrales rappellent le caractère épique de la musique du producteur français Woodkid.

Skadedyr - Musikk !
Skadedyr, c’est un super big band qui rassemble quelques-uns des fleurons du label. Ça part dans tous les sens avec une alternance entre des lignes très mélodiques et des phases quasi bruitistes. Il y a de la folie, des allures de parodie, c’est enjoué, un peu freak dans l’esthétique… ça m’évoque Zappa, mon héros à tout jamais.

Phonophani - Animal Imagination
Phonophani, c’est l’un des pseudonymes du producteur Espen Sommer Eide, que ce dernier n’avait pas utilisé depuis 2001. C’est un personnage étonnant, à la fois très simple en tant que personne mais dont le processus créatif est, lui, très complexe. Phonophani est un scientifique du son qui ne se contente pas d’utiliser seulement la technique du field recording mais développe ses propres logiciels et invente ses propres instruments. Animal Imagination est une création de toutes pièces dans laquelle Espen Sommer Eide met le contemplatif et l’ambient au service de la musique concrète et contemporaine.

Frode Haltli - Avant folk
Probablement le meilleur exemple “hubroesque” en termes de folk nordique. Le format est fascinant : deux compositions originales de l’accordéoniste, qui viennent encadrer trois reworks de thèmes traditionnels norvégiens, dont le fabuleux « Neid », morceau progressif de quasi 20 minutes concluant tout en intensité ce fabuleux album qui tisse un beau lien entre le passé et le présent.

Geir Sundstøl - Langen Rø
J’aurais pu choisir “Furulund” ou “Brødløs” car j’aime tout autant les trois albums du guitariste Geir Sundstøl. J’ai penché pour “Langen Rø” pour la simple et bonne raison que c’est l’une des toutes premières références que j’ai travaillées. Les gimmicks classieux de la slide guitar, développés dans une atmosphère particulièrement imagée et rêveuse, m’ont fait fondre.

par // Publié le 27 octobre 2019