Chronique

Hugh Coltman

Shadows, Songs of Nat King Cole & Live At Jazz à Vienne

Hugh Coltman (voc), Eric Legnini (p), Franck Agulhon (b), Gael Rakotondrabé (p), Misja Fitzgerald Michel (g), Thomas Naïm (g), Laurent Vernerey (b), Raphaël Chassin (dm)…

Label / Distribution : Okeh Records

On ne soulignera jamais assez la portée politique de la geste « nat king colienne » de Hugh Coltman. Le Roi Cole était, on le sait, le premier artiste afro-américain à réaliser le crossover, pénétrant les hit-parades blancs grâce à ses talents de crooner, devant pour cela s’éloigner des réseaux de boppers, qu’il savait pourtant enchanter tant il pouvait se révéler un as du piano. Ici Coltman réalise une sorte de crossover à l’envers, remettant - si l’on peut dire - son jazz sur ses pieds de la même manière que Marx avait remis la dialectique à l’endroit.

On sent justement que le ténébreux chanteur de pop-rock a mis les pieds dans la boue du blues, faisant œuvre de rhyparographie, cet art de la moisissure propre aux natures mortes. A moins qu’il ne s’agisse de la boue des rives du Mississipi ? Une voix androgyne qui coule de source – et quelle source ! -, avec des incursions saisissantes dans les aigus : cette inversion des genres sexués, caractéristique des voix mâles afro-américaines, est éminemment subversive (« Les aigus c’est grave » comme l’a montré Francis Marmande).

Des guitares qui fleurent bon le Delta blues, une section rythmique tissée de songes pour autant de manifestes et des arrangements très léchés (on est tout de même dans le répertoire d’un chanteur de charme). Sur les deux disques présentés dans la même livraison, deux versions de « Nature Boy » qui sont autant d’hymnes queer balancés à la face des homophobes : en studio, une proposition valsée ensorcelante ; en live, une version binaire avec une batterie énorme et une guitare plus que flippante, comme un sabbat.
Cette double livraison est une forme de conclusion discographique à une aventure jazzistique dont la popularité ne s’est pas démentie : si l’album studio était déjà connu, l’album live, enregistré à Vienne, prouve l’excellence du travail d’hommage à Nat King Cole.