Chronique

Impuls

Louis Sclavis & Bernard Lubat

Bernard Lubat (p, dms, voc), Louis Sclavis (bcl)

Label / Distribution : Cristal Records

La musique non écrite est une musique sans papiers ; en soi, c’est un acte politique. La formule est de Bernard Lubat qui sait de quoi il parle en matière d’engagement dans un mode d’expression artistique libre. Même chose pour Louis Sclavis, avec lequel il signe cette magnifique capture d’un instant unique. Les deux hommes se côtoient depuis plus de trente ans, et aux côtés d’autres grands musiciens, ils ont été les précurseurs du free-jazz en France, participants actifs à une « résistance intense aux avatars hagards des musiques à vendre ».

Trois jours de cohabitation, en vase clos, auront fait la genèse de cet album enregistré au théâtre amusicien l’Estaminet à Uzeste. Il fait suite à un premier disque que Bernard Lubat enregistra avec Sylvain Luc, et enrichit une série de « dépensements de soi » dont la prochaine étape verra Michel Portal apporter sa touche à cette musique éphémère, bio-dégradable, toute fabriquée en public.

Une confrontation, une sorte de questions-réponses s’installe entre une clarinette langoureuse et un piano sautillant. Que Bernard Lubat passe derrière les fûts, donne de la voix ou s’installe au clavier, la musique est riche et donne une impression d’orchestre bien plus vaste. Une tension s’exerce rapidement et retient l’attention, notamment lorsque les notes de clarinette rebondissent sur les percussions dans un esthétisme sonore éblouissant.

La musique improvisée, à un tel niveau de maîtrise, traverse l’auditeur comme une émotion qui viendrait le surprendre. L’idée qui voudrait que cette musique soit hermétique, inaccessible, trop intello, ne tient pas si on accepte de l’écouter avec la même liberté. Rien ne ressemble plus à la vie que ces instants sans filet. L’ensemble a du cœur, ne manque pas de caractère et suggère des myriades d’idées sans en énoncer aucune. Entre interactions, altercations, bousculades et embrassades, les deux musiciens jouent l’instant de vraie liberté qui leur est offert.

Il y a bel et bien du politique dans cette démarche. Nul besoin de papiers pour avoir une identité, pour exister, pour s’exprimer. Et Bernard Lubat ajoute : « Improviser, c’est comme la liberté, ça s’apprend… ça apprend à vivre… c’est tout sauf inné ».