Chronique

Ingrid Laubrock & Tom Rainey

Counterfeit Mars

Ingrid Laubrock (ss, ts), Tom Rainey (dms)

Label / Distribution : Relative Pitch

Les duos entre Tom Rainey et Ingrid Laubrock, c’est un peu comme les fêtes de fin d’année réussies : ça revient à intervalles réguliers, c’est attendu avec une impatience contenue et, malgré la connaissance pointue des forces en présence, l’excitation et la surprise sont toujours au rendez-vous. La dernière captation en date avait été un journal de confinement ; comme Satoko Fujii et Natsuki Tamura, autre couple célèbre de nos musiques, la saxophoniste et le batteur avaient enregistré durant cette période de latence. Avec Counterfeit Mars, le duo reprend le fil du temps, comme « Andy’s Eye » nous l’intime aux prémices de l’album : le son rauque et belliqueux de Laubrock vient se frotter à une giboulée de cymbales, puissante et accrocheuse. On oublie parfois, dans la finesse dont elle peut être capable dans ses projets, que la saxophoniste, allemande de naissance mais désormais citoyenne étasunienne, peut jouer de manière très directe, notamment lorsqu’elle est au ténor.

La mécanique plus subtile vient souvent du soprano. D’ailleurs, « Virtual Nature » en est le parfait exemple, d’abord très doux, puis puisant l’énergie dans une certaine stridence. Ingrid Laubrock est en totale liberté sur cet album, et c’est d’abord parce que Tom Rainey est un musicien attentif et furieusement coloriste. Lorsqu’elle se lance dans « Foisted Fables », jouant avec beaucoup de tranchant, c’est la mitraille de la batterie qui parle, un jeu très en avant, assez agressif, qui pousse le saxophone dans ses retranchements, mais favorisant le mouvement. Avec « Ruckus », c’est la même mécanique qui est en jeu, peut-être plus dure encore, le jeu de Laubrock devenant très frontal pendant que Rainey semble accélérer, ajoutant une urgence supplémentaire.

Le travail du batteur est à l’image d’un boa constricteur. La saxophoniste se débat et se délie sans pour autant éloigner la vague de percussions, qui peuvent néanmoins parfois se faire plus atmosphériques, comme sur « Footnote ». Il y a une euphorie dans la musique assez écrite que nous propose le duo sur le label Relative Pitch. Une forme de libération, voire de conjuration d’une période d’enfermement. Revisitant à cette occasion la grande tradition du duo saxophone/batterie, ils nous proposent l’un de leur duos les plus enlevés et les plus radicaux. Jusqu’au prochain, sans doute.

par Franpi Barriaux // Publié le 5 février 2023
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