Chronique

Satoko Fujii

Hyaku : One Hundred Dreams

Ingrid Laubrock (ts), Sara Schoenbeck (basson), Wadada Leo Smith (tp), Natsuki Tamura (tp), Ikue Mori (electroniques), Satoko Fujii (p), Brandon Lopez (b), Tom Rainey (dms), Chris Corsano (dms)

Label / Distribution : Libra Records

Et de cent ! La pianiste japonaise Satoko Fujii fête avec ce disque son centième enregistrement en tant que leadeuse ou co-leadeuse sans qu’une once de lassitude n’apparaisse au tableau. Au contraire, après avoir multiplié les rencontres resserrées ces dernières années (voir quelques-uns de ces disques chroniqués dans Citizen Jazz) ou même tout récemment encore au côté de Otomo Yoshihide chez Ayler Records, elle passe le cap d’une discographie à trois chiffres à la tête d’une formation en nonet.

Suite en cinq mouvements, Hyaku : One Hundred Dreams réunit les libertés de la musique improvisée, la pleine expression de fortes personnalités à l’aise dans l’hyper-contemporain et une écriture au souffle maîtrisé prenant le temps d’édifier un propos avec beaucoup d’amplitude. Partant, en effet, d’une nébuleuse sonore où résonne un piano profond et d’où se détache le basson hiératique de Sara Schoenbeck, les instrumentistes prennent à tour de rôle la parole dans des monologues parfaitement construits, âpres ou scintillants (de la part notamment de Natsuki Tamura) qui laissent la tension de l’orchestre en suspens. C’est pourtant l’intervention d’Ingrid Laubrock confrontée à une double batterie (celles de Tom Rainey et Chris Corsano) qui déclenche un dialogue fructueux entre la soliste d’un côté et l’ensemble de l’autre.

L’écriture prend alors tout son sens et les effets de contrastes, les rapports de volume et de timbre, de même que la multiplicité des agencements, sont ainsi activés. Se détache bien évidemment la trompette de Wadada Leo Smith, aiguillonnée par les interventions électroniques toutes en malice d’Ikue Mori, mais c’est surtout le collectif qui s’impose. À compter de la partie IV, une partition canalisée se fraie un passage entre des espaces mobiles. Un ostinato rampant définit la structure et surtout donne une direction. Celle d’une formation qui s’épanouit, dans la dernière partie, dans un équilibre sur la brèche entre les dissonances issues du free où les voix s’embrasent et une plénitude orchestrale qui lui est propre.

par Nicolas Dourlhès // Publié le 4 juin 2023
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