Chronique

Sara Serpa

Encounters & Collisions

Sara Serpa (voc), Angelica Sanchez (p), Erik Friedlander (cello), Ingrid Laubrock (as, ts)

Label / Distribution : Biophilia Records

Chaque nouveauté de la vocaliste lusitanienne apporte des surprises ; depuis son travail avec le pianiste Ran Blake il y a plus de quinze ans, la voix douce et sans fioriture de la musicienne installée à New York a de quoi subjuguer, des inventions atmosphériques de Night Birds avec son compagnon André Matos aux réflexions très politiques sur les migrations dans le très beau Recognition. Trois points sont saillants lorsqu’il s’agit de Serpa : Elle sait d’abord remarquablement s’entourer, de David Virelles à Erik Friedlander, dont le violoncelle est un complément de la voix. Elle est friande d’images, dans un contexte très cinématographique qui fut celui, naturellement, de la collaboration avec Ran Blake. Elle sait conter, enfin. C’est tout le sujet de Encounters & Collisions. Son histoire.

Du cinéma pour les oreilles. Il n’est pas courant de parler de disque autobiographique, mais aux côtés d’Ingrid Laubrock qui animait un trio avec Friedlander, c’est ce que ce disque nous propose, avec une simplicité et une fluidité peu commune. Avec pudeur aussi : son arrivée à Boston pour étudier, la naissance de son enfant, la mort de son père, Sara Serpa se raconte et nous raconte. Elle met en son comme d’autres mettent en image. Entre chaque « Story », où le field recording sert un propos à la scansion parfaite, la chanteuse prolonge l’histoire par une mise en abîme, fait de sprechgesang, de mantra et d’une mise en couleur très poétique par ses complices. Ainsi « Alien » est un échange puissant entre Ingrid Laubrock et Erik Friedlander, auquel s’ajoute le piano très concertant d’Angelica Sanchez. Plus loin, avec « Music Makes Me Who I am », c’est une mise à nu dans la mousseline du piano. Dans une atmosphère tangentée par la musique contemporaine, Sara Serpa rappelle que le jazz l’a construite. En a fait une artiste unique, et nous la rend positivement émouvante.

Le propos d’Encounters & Collisions n’est pas seulement l’histoire de la chanteuse ; c’est globalement, dans la droite ligne de Recognition, une réflexion sur le souvenir et l’image, mais aussi les migrations. C’est un film documentaire, avec ses coups de zoom et ses plans larges, avec un découpage qui donne du rythme à un quartet d’une grand sensibilité. Le choix d’Ingrid Laubrock, remarquable de bout en bout dans ce travail de scénarisation, n’est d’ailleurs pas seulement musical. La saxophoniste allemande et la chanteuse portugaise ont une histoire transatlantique en commun. Une histoire du jazz, en somme.

par Franpi Barriaux // Publié le 30 mars 2025
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