Portrait

Leimert Park à Marseille

Meeting Jazz avec Kamau Daaood et Rickey Washington, où l’on prend conscience des racines communautaires de Kamasi Washington


C’est à l’Alcazar, ancien music-hall marseillais devenu bibliothèque municipale à vocation régionale, qu’était proposée une projection du documentaire inédit en France « Leimert Park. The story of a village in South Central, LA » (Jeannette Lindsay, 1992), suivie d’une rencontre avec l’un des principaux protagonistes du film, Kamau Daaood, l’un des poètes jazz les plus saisissants. Etait également annoncée la venue de Kamasi Washington, qui devait se produire ce soir-là sur la scène du Palais Longchamp dans le cadre du Festival Jazz des Cinq Continents.
La séance était animée par Patrick Fabre, sémillant responsable du secteur musique de l’institution.

Le documentaire, de facture efficace, apparaît comme un assemblage de contes communautaires, issus d’un quartier de Los Angeles, compilant les témoignages d’individus mobilisés pour la dignité de leurs proches, via des projets artistiques à forte coloration jazz. L’on y croise les dires et représentations de musiciens trop rares comme Billy Higgins et Horace Tapscott, décédés depuis, de performers, de plasticiens… ou encore du formidable chanteur post-coltranien Dwight Trible.
Et l’on comprend mieux pourquoi Kamau Daaood est appelé « griot de Los Angeles ». Véritable mémoire du quartier, il fait le lien entre les luttes et les expressions artistiques de la communauté.

C’est pourtant Rickey Washington, le père de Kamasi, qui prend la parole en premier à l’issue de la projection. Il connaît bien le quartier de Leimert Park, où il amenait souvent son fils enfant, afin de lui faire prendre conscience de la force de l’émulation communautaire qui y régnait. Il excuse son fils de ne pas être présent, la fin de tournée européenne étant plutôt chaotique. Mais très vite, il livre des confidences : « Je croyais que la meilleure université c’était l’église. Kamasi jouait du saxophone sans partition dans le chœur. Je suis heureux de le voir partager cette tradition, cette culture : il a un don pour l’esprit de l’amour de la diversité, des ancêtres et pour toujours aller de l’avant. Quand il avait 11 ans je lui ai dit : « Joue très lentement, après tu pourras jouer très vite ». A 12 ans, il chantait des solos de Charlie Parker. » A propos de Kamau Daaood : « Je l’ai rencontré en 67. C’est le poète le plus puissant qui soit. Vous devez lire et écouter ses mots ».

Durant le débat, ce dernier devait d’ailleurs s’exprimer sans fard ni poésie : « Je crois que ce qui est important ici c’est la tradition. J’ai du mal à supporter de voir ce film tellement il y a de gens qui ne sont plus là. Mais ce film est une prophétie. Il y a de très grands changements : politique et commerce s’entremêlent dans ce que l’on nomme gentrification. Quand les artistes sont venus, Leimert Park était vide. Désormais, il y a un métro et un groupe de gens qui achètent des logements en attendant que le métro soit prêt. Les enfants ne se rendent pas compte de ce qu’ils ont. Tout ce qu’ils voient, c’est l’argent. C’est le problème de l’Histoire depuis l’esclavage. La communauté doit prendre conscience de son rôle pour éviter cela. »

Visiblement ému, le poète devait clore le débat en déclamant un poème en hommage au pianiste Horace Tapscott : « J’ai vu le sang sur les touches du piano / Je suis Horace Tapscott et je ne suis pas à vendre ».