Entretien

Jean-Marie Machado met l’orchestre en lumière

Entretien avec le pianiste et chef d’orchestre Jean-Marie Machado au sujet de ses projets en grand format.

- Jean-Marie, vous vous définissez comme explorateur d’univers musicaux. Comment cela se déroule-t-il ? Quel est votre boussole ?

Le fil conducteur reste avant tout les variations d’atmosphères et, pour les exprimer, les musiciens et leurs qualités principales liées à la sonorité, la texture et l’émouvant du son.
Puis le choix d’aller vers une rêverie musicale personnelle issue de l’histoire de son parcours de vie, avec pour mission d’éviter d’entrer dans une classification qui limiterait l’imaginaire.

Danzas Pictures for Orchestra

- Il y a beaucoup de lumière dans vos titres ; Lua avec Didier Ithursarry, Media Luz avec Dave Liebman, et pourtant vous aimez faire des Fiesta Nocturna avec votre ensemble Danzas. Est-ce que le crépuscule, cet entre-deux, est votre milieu naturel ?

Cet intérêt pour la luminosité est une des grandes directions pour nous tous et toutes : la lumière se retrouve dans de nombreuses poétiques artistiques et pour toutes les disciplines confondues. Elle nous parle de nous et de nos ressentis profonds, de notre état de chaque instant.

- Sont-ce vos racines méditerranéennes qui vous mènent vers la lumière ? La boussole indiquerait donc le Sud ?

On ne peut que se réjouir de venir de quelque part ; pour autant, cela ne doit pas nous empêcher de rester curieux de découvrir l’autre, de se confronter à la différence.

Je suis né à Tanger, j’ai vécu tout jeune dans une ambiance liée au Sud mais je suis très attiré par le Nord en fait.

Les sons, comme des tableaux, photos ou dessins, peuvent également offrir toutes les subtilités de profondeurs et de couleurs

- Dans votre dernier album, Pictures for Orchestra, il est aussi question de lumière, qui est la source de l’image. Comment avez-vous réussi à la capter pour cet album ?

Les sons, comme des tableaux, photos ou dessins peuvent également offrir toutes les subtilités de profondeurs et de couleurs. C’était une façon de traduire ce que je peux ressentir en face d’un paysage. Il était simple de s’appuyer sur les formidables sonorités des musicien.ne.s qui composent Danzas et de leur inventer sur mesure une pièce pour mettre en valeur leur expressivité.

- Pour cet album en particulier, vous utilisez deux altistes, assez centrales. Comment s’est fait le choix de l’instrumentarium ?

Le trio à cordes graves, deux violons altos et un violoncelle, donne un chant intérieur dense avec un liant très émouvant, il est l’âme de la narration dans l’orchestre. Je reste définitivement passionné par les sons graves.

Jean-Marie Machado

- Vous reprenez une œuvre de Schumann dans ce morceau, votre musique est très imprégnée de musique classique occidentale, mais en même temps vous conservez un lien fort avec la musique populaire. Quelles sont vos influences majeures ?

J’ai conservé un lien immense avec chacune des musiques qui m’ont bouleversé. Toutes les musiques dites classiques depuis la musique ancienne jusqu’à la musique contemporaine, les jazz et les musiques improvisées, les musiques de rock progressif et les musiques traditionnelles. Une fois passé le choc de la découverte et l’apprentissage, il faut peu à peu les oublier et laisser se disperser dans notre langage les émotions dont on a pu se nourrir à leur rencontre.

- Vous bénéficiez d’une résidence au Centre National des Bords de Marne, ou vous programmez également. Qu’est-ce que cette stabilité et cette possibilité de rencontre apporte à votre musique ?

Participer à la vie d’un théâtre, avec cette belle complicité qui me relie à Michel Lefeivre directeur du CDBM, est une chance et m’a permis de développer d’une façon très régulière et soutenue mon travail de compositeur tout en accompagnant le lieu dans la programmation d’une saison ouverte au jazz et musiques improvisées.

Je reste persuadé que les théâtres doivent être ouverts aux artistes en dehors des moments de diffusion. Il y a suffisamment de lieux dans notre pays pour accompagner une grande partie des équipes artistiques de cette façon. L’exemple du Perreux-sur-Marne devrait permettre d’ouvrir d’autres horizons, nous l’espérons.

Je reste persuadé que les théâtres doivent être ouverts aux artistes en dehors des moments de diffusion

- A l’écoute de vos morceaux, on a souvent le sentiment que le corps et la danse sont des éléments proches de votre processus créatif. Mêler les deux, est-ce une direction que vous pourriez développer davantage ? Vous percevez-vous comme un artiste pluri-disciplinaire ?

Par curiosité j’ai souvent pratiqué ce type de confrontation, mais aussi parce que je trouve dans les autres arts des endroits d’expression qui sont primordiaux. La littérature, la poésie, le conte m’apportent de très belles émotions et avoir la possibilité de croiser ces mondes importants, le temps d’un spectacle, me passionne.
Pour la danse, il s’agit d’une complémentarité incroyable, le contrepoint la reliant à la musique est très naturel et j’attache un intérêt particulier à la présence des deux arts sur le plateau.

- On retrouve souvent dans votre orchestre des fidèles comme Jean-Charles Richard. Ecrivez-vous pour des musiciens en particulier ?

J’ai peu à peu réussi former la dream team ! Danzas sonne à travers des personnes plus que des instruments. Il est habituel aujourd’hui qu’en période de composition j’entende très précisément le son des musiciens de Danzas avec leurs spécificités et cela ouvre beaucoup de possibles. Également, leur grande connaissance de ma façon de voir la narration musicale garantie une belle cohérence du propos.

- Vous faites partie de la fédération des Grands Formats. Qu’est-ce que c’est, diriger un grand orchestre aujourd’hui ?

La présence de grands ensembles sur les plateaux pour toutes les formes d’art et bien sûr pour les jazz d’aujourd’hui est un signe enthousiasmant qui raconte une pensée libre pour la forme instrumentale. Cela demande un combat permanent, d’où l’existence de la Fédération des Grands Formats. Diriger un grand orchestre aujourd’hui est un engagement immense qui demande une force et une conviction à toute épreuve. Proposer cette rencontre particulière avec les publics est un des beaux moments de notre métier.

Orchestre Danzas

- Quels sont les projets à venir de Jean-Marie Machado ?

Un nouveau quartet Majakka project (phare en Finnois), avec Jean-Charles Richard, Vincent Ségal et Keyvan Chemirani et à construire encore, une forme opératique mêlant images, dessins, récit, danse… Gardons le rêve intact…
Je participerai également, sur un livret de Jean-Jacques Fdida auteur-conteur et avec Aurore Bucher, chanteuse, à une version tout public du conte Peau d’Ane.