Yves Rousseau - Wanderer Septet au Manu Jazz Club
Jeudi 21 janvier 2016. Le froid vif qui règne à Nancy n’a pas dissuadé le public de venir au Théâtre de la Manufacture pour vibrer avec le Wanderer Septet. Bonne pioche !
Le Manu Jazz Club a probablement vécu son moment le plus fort depuis sa création à l’automne 2013. L’équipe de Nancy Jazz Pulsations peut se targuer d’une belle réussite tant la prestation du Wanderer Septet emmené par Yves Rousseau a suscité l’adhésion d’un public venu nombreux. Schubert et ses réminiscences n’ont pas fini de faire rêver.
- Wanderer Septet (Yves Rousseau) © Jacky Joannès
On peut prendre les paris. A en juger par les conversations entendues à la sortie de la prestation du Wanderer Septet, Yves Rousseau et ses musiciens ont créé l’événement. Le concert du Manu Jazz Club a hissé très haut les couleurs d’un répertoire inspiré par l’œuvre de Franz Schubert, dont la musique a bercé l’adolescence du contrebassiste. Pour le plus grand plaisir de tous, ce dernier a su s’entourer d’une fine équipe qui fait vivre un projet sans équivalent depuis trois ans. }}}
Inspirée, oui, car le but d’Yves Rousseau n’est pas de réinterpréter la musique de Franz Schubert (mort à l’âge de 31 ans en 1828, soit peu de temps après la composition des 24 lieder du Winterreise aux résonances prémonitoires, ce Voyage d’hiver pouvant être compris comme un voyage vers la mort), mais plutôt de la laisser agir au cœur même de son propre processus de création. Le Wanderer Septet ne procède donc pas à une adaptation de la musique du génie autrichien. Au-delà de quelques citations fugitives (Le Roi des Aulnes, Trio opus 100, Winterreise, La jeune fille et la mort), on perçoit la musique de Schubert comme en filigrane. Elle est une source, un point de départ, elle infuse depuis des décennies dans le patrimoine du contrebassiste : « Dans le temps de l’adolescence et dans cette solitude si indispensable à la construction de l’être, j’ai ressenti une immense proximité avec cet artiste habité par une flamme qui me semble encore aujourd’hui unique, comme une sorte de fascination pour cette beauté qui me toucha jusqu’au plus intime ». La suite Wanderer d’Yves Rousseau [1] se compose de six mouvements aux nuances changeantes et nocturnes, qui expriment toute la dualité schubertienne, entre souffrance et célébration de la beauté. A son service, une formation virtuose qui sait magnifier un répertoire aux confins de la musique de chambre, du jazz et de la musique contemporaine, et multiplier les textures sonores en combinant les associations instrumentales. Entre cordes (sans oublier celles du piano souvent sollicitées), voix, anches et percussions, il y a de quoi laisser libre cours à l’imagination. Yves Rousseau n’en manque pas et ses musiciens ne se privent pas d’habiter avec une intensité communicative leurs interventions qui sont autant de frissons traversant la salle. On retient son souffle pour mieux admirer le travail de design sonore fourni au violon par Régis Huby, dont la complicité avec un Jean-Marc Larché au jeu très intériorisé confine à la télépathie. Son saxophone soprano courbé, un instrument assez peu employé, est le vecteur d’un discours enflammé. Le sourire de Xavier Desandre-Navarre est aussi lumineux que son jeu coloriste, loin d’une force de frappe envahissante. Edouard Ferlet, qui fête ses 45 printemps à Nancy, est autant un pianiste qu’un créateur d’effets sonores et nous rappelle l’étendue de ses inspirations, qui puisent autant chez Bach que dans une esthétique très cinématographique ; Pierre-François Roussillon mobilise le large spectre sonore de sa clarinette basse, d’une droiture aux intonations classiques jusqu’à un chorus d’inspiration free. Thierry Péala, à la fois récitant et chanteur, vient rappeler que la voix est un instrument, qui trouve une place pleine et entière aux cotés des anches et des cordes. Totalement épanoui, Yves Rousseau veille avec flegme et puissance sur le tempo d’un dispositif dont il est le point central. Les regards qu’il adresse à ses musiciens sont à la fois des encouragements et la manifestation d’une évidente admiration. On le comprend.
Deux sets de trois mouvements entrecoupés d’une pause (c’est la règle au Manu Jazz Club), un public comme suspendu face à une évocation romantique dont l’élégance le dispute à la tension qui jamais ne se relâche. Il se passe quelque chose, à n’en pas douter, du côté du Théâtre de la Manufacture. Il n’y aura pas de rappel car ce répertoire est un tout qui se conçoit avec un début et une fin ; toutefois les musiciens ne se font pas prier pour saluer et saluer encore et goûter au plaisir d’une adhésion pleine à leur musique.
J’ai pu prendre le temps d’échanger avec les musiciens quelques minutes après la fin du concert : Régis Huby parle de son plaisir d’être de l’aventure et de retrouver Jean-Marc Larché, son complice depuis plus de quinze ans au sein du quartet d’Yves Rousseau. Le contrebassiste, quant à lui, tire un bilan très positif de la soirée, lui qui craignait que l’obligation faite aux musiciens de jouer leur répertoire en deux sets n’en atténue la force. Il s’aperçoit que la pause de vingt minutes n’a nui en rien au déroulement des six mouvements. Xavier Desandre-Navarre arbore en permanence un grand sourire qui en dit long sur son plaisir à enluminer une musique à la fois libre et savante. Pierre-François Roussillon nous interroge, il veut connaître nos impressions et savoir ce qu’apporte la version scénique de cette musique. On peut le rassurer, puisque chacun brûle de l’envie de lui dire qu’il va repartir « avec des couleurs plein les oreilles ».
Demain, tout ce petit monde sera à Lausanne pour une autre rencontre aussi fiévreuse que celle de ce soir. Une traversée de paysages enneigés les attend… Vivement qu’ils reviennent !
- Wanderer Septet (Régis Huby, Yves Rousseau) © Jacky Joannès