Chronique

Elisa Arciniegas Pinilla

Improvisible

Elisa Arciniegas Pinilla (viola, voc) + Mina Fred (viola), Sam Dühsler (dms), Olga Marulanda (hb), Jean-René Mourot (p), Fred Frith (g)

Label / Distribution : Momentanea

Il est de par le monde des peuples qui, vivant dans des endroits déserts, chantent pour le ciel et pour se tenir compagnie. La musique ascétique d’Elisa Arciniegas Pinilla recèle cette énergie-là, celle qui transcende les scansions où s’entortillent, dans l’épure, l’espoir et la tristesse. Cette musique, ici totalement improvisée par la seule altiste - chanteuse, ou prenant la forme de conversations complices, est aussi pure et dénuée de préméditation que le blues de ceux qui s’adressent à leur propre solitude, étonnant l’auditeur par la force d’un propos hérité des ancêtres et poli par les heures de voyage ou de travail partagées avec l’immensité silencieuse.

Improvisible, premier disque de cette altiste paru sur le label Momentanea du pianiste Jean-René Mourot propose une musique libre que nul maniérisme, nulle volonté d’intellectualiser le geste ne rendent inabordable. Le titre le sous-entend : ce qui se joue ici est improvisé, donc imprévisible. Pourtant, l’évidence est bel et bien là. En solo (voix seule, alto seul et par deux fois voix + alto), Arciniegas Pinilla montre une fascinante aptitude à délivrer un message simple au charme accessible, comme une belle forme sculptée dans une matière noble, avec peu d’outils, par un artisan au geste sûr. Elle émet des onomatopées gracieuses ou phrase à l’alto sur un registre étendu, de notes mais aussi d’harmoniques et de frottements. Sa voix et ses cordes chantent, sans cesse, sans hâte.

A cette passionnante démarche personnelle, elle appose une approche similaire de l’expression musicale, mais cette fois basée sur l’échange, en conviant différents instrumentistes. Parce qu’elle est intègre et qu’elle respecte leur personnalité, ces dialogues n’ont en commun que son propre jeu, transposé selon le contexte. Aux côtés de l’altiste Mina Fred, elle s’efforce d’oublier que sa musique est savante, de se libérer des codes au profit de l’instinct ; d’où une pièce au lyrisme écorché où le travail de la matière sonore devient source d’émotion. Elle se laisse aussi porter par le jeu du batteur Sam Dühsler, qui ponctue plus qu’il ne rythme, colore les développements de l’altiste en investissant au fur et à mesure tous les éléments de sa batterie. Elle s’amuse, avec la hautboïste Olga Marulanda, à entretenir l’ambiguïté narrative, leurs lignes mélodiques torturées jouant constamment à se rapprocher puis se fuir. Elle profite enfin du piano mystérieux de Jean-René Mourot qui, partiellement préparé, se partage entre pincements métalliques et sonorités très pures, et laisse sa voix dériver, portée par un courant la menant des directions inattendues. Enfin, elle évolue, accolée à la guitare aventureuse de Fred Frith, sur un chemin qui leur permet de s’extirper peu à peu d’une inhospitalière abstraction pour trouver la voie d’un lyrisme séraphique.

De l’étrange désert qu’est ce « rien » qui servit de point de départ à l’enregistrement de ces pièces, une voix s’élève. Puissent les vents tièdes la porter aux oreilles du plus grand nombre.