Chronique

Joëlle Léandre & Paul Lovens

Off Course !

Joëlle Léandre (b, voc), Paul Lovens (perc, dms)

Label / Distribution : FOU Records

C’est un impromptu, et pour tout dire une sacrée surprise que cette courte rencontre entre deux géants de la musique improvisée européenne. Un de ces instants dont les armoires de Jean-Marc Foussat et Fou Records regorgent, et qui ressortent parfois au gré du temps, des envies et des évènements. Le présent enregistrement a été effectué en 2013 à Paris, et c’est une des rares rencontres entre la contrebasse de Joëlle Léandre et les tambours de Paul Lovens. Au-delà de ça, c’est même un disque rare : la contrebassiste n’est effectivement pas coutumière des duos avec des batteurs. Mais à l’écoute de « Off Course ! », le premier long morceau qui donne le titre à l’album, peut-on cantonner Lovens à un rôle de batteur ? Alors que la contrebasse construit ses coutumiers entrelacs, l’archet fonctionnant comme une toile d’araignée subtile qui s’empare de l’espace, Lovens se saisit de cloches et d’objets pour bâtir lui aussi un univers : une forme à part, quelque chose qui tient de l’écriture.

On pourrait imaginer une forme d’intensité et de chaos pour ces retrouvailles ; au début du siècle, l’Allemand, ancien du Globe Unity Orchestra, animait un quartet avec Léandre, Lazro et Zingaro où la puissance était de mise. Ici, les improvisateurs agissent comme s’il s’agissait d’une implosion davantage qu’une explosion ; le jeu du batteur semble être contenu tout entier dans le relief de la contrebasse, dont le flux s’accélère et se densifie à mesure que l’urgence s’intensifie. Comme souvent avec Joëlle Léandre, c’est en donnant de la voix qu’elle atteint le point de rupture. Le chant est rocaille, le babil une soupape. On pourrait songer que Lovens en profiterait pour faire parler la mitraille, mais son but est autre et il trace sa route, un chemin qu’il sculpte patiemment, sans effets de manche, jusqu’au silence.

L’atmosphère est différente sur « Where Else ? » où les rôles s’échangent, pour un plus court moment. Ici, c’est le batteur qui sature l’espace, Joëlle Léandre semblant contenue tout entière dans la frappe, l’archet devenant frappe lui-même alors que les tambours feulent. C’est une rythmique intime qui se met en ordre, loin de tout souci de temps et armée d’une pulsation propre. Un instant où quelque chose s’invente, qui ressemble à une discussion éternelle. Si Joëlle Léandre continue de nous ravir avec son indéfectible basse, Lovens a rangé ses baguettes depuis quelques années maintenant. Ce genre de témoignage est indispensable pour faire revivre une magie jamais vraiment éteinte.

par Franpi Barriaux // Publié le 2 avril 2023
P.-S. :