Chronique

14 Rue Paul Fort Paris

Joelle Léandre (b), Benoît Delbecq (p), François Houle (cl)

Label / Distribution : Leo Records/Orkhêstra

Enregistré à l’adresse indiquée, ce disque en trio navigue entre simplicité, symbolisme et lyrisme.

Simplicité car les trois instrumentistes poursuivent avant tout le dénuement, rejetant toute tentation orchestrale au profit d’une recherche sonore aux confins de l’ordre naturel des choses, allant jusqu’au tréfonds des matières issues de leurs instruments respectifs.
Simplicité car il règne dans ces sept titres, simplement intitulés « 14 Rue Paul Fort » (de 1 à 7), une harmonie bien loin des codes établis du jazz (pas de grille d’accords, bien entendu !), un sens de l’universel confinant à l’archaïsme. Qualifier cet essai de « libertaire » serait aller un peu vite en besogne, tant ses créateurs font autorité dans la moindre note proposée : la contrebasse de Joëlle Léandre finit par sonner comme un trombone, la clarinette de François Houle sait à dessein se faire percussive quand le piano de Benoît Delbecq distribue les dissonances. Les musiciens s’effacent tellement derrière leurs instruments que leur création les dépasse.

C’est en ce sens que ce disque porte aussi l’empreinte d’un symbolisme poétique qui pourrait rappeler l’art littéraire d’un Paul Fort : on est ici dans le sensible pur, une quête imaginaire sans autre repère que la magie de l’écoute. Les artistes nous entraînent dans une forme de catharsis, sans pour autant forcer l’onirisme : les formes musicales proposées, loin d’être inconscientes ou surréalistes, sont autant de créations conscientes rejetant l’ordre rationnel des choses, brisant rythmes et mélodies conventionnelles au profit de l’intime. On ne s’aventurera pas à chercher des couleurs : tout ici n’est que nuance. Le lyrisme qui en découle ne saurait alors être tautologique : lorsque François Houle lance des trilles de clarinette et que Joëlle Léandre aligne de somptueux mouvements d’archet à la contrebasse, cependant que Benoît Delbecq fait respirer ses touches de piano, ce sont leurs Moi respectifs qu’ils accordent et désaccordent : belle conjuration des Égaux.