Chronique

Joëlle Léandre & Vincent Courtois

Live At Kesselhaus Berlin

Joëlle Léandre (b, voc), Vincent Courtois (cello)

Label / Distribution : Jazzdor Series

Installé depuis longtemps dans le paysage du jazz européen, à cheval entre Strasbourg et Berlin comme pour marquer sa volonté d’échange et de partage, Jazzdor s’est peu à peu imposé comme un acteur incontournable. Il lui manquait le moyen de diffuser les concerts hors des murs des deux cités, et de donner à cette musique de l’instant la dimension du témoignage. Il existait bien quelques vidéos, mais le biotope de la mémoire du concert reste le disque ; désormais, avec la collection Jazzdor Séries, une voie s’ouvre, magnifiquement tracée par le savoir faire des techniciens radios de la Deutschlandradio Kultur.

Le festival a toujours placé la fidélité aux artistes au centre de ses valeurs. Il n’est donc guère étonnant de trouver sur la première référence de son label la contrebassiste Joëlle Léandre et le violoncelliste Vincent Courtois enregistrés aux premiers beaux jours de juin 2013 en Live At Kesselhaus Berlin. La fraternité de cordes des deux improvisateurs, ancienne, ne nécessite nulle phase d’observation. Même le silence, rare mais raffiné dans les prémices du concert, paraît lourd et dense de promesses. « De retour dans la loge, ils semblent sonnés comme des boxeurs » écrit Philippe Ochem, directeur de Jazzdor, dans les notes de pochette. L’image est très juste : dans ce match en sept rounds, certains courts et intenses - comme ce « 02 » où le violoncelle semble tourner sur lui-même à en perdre l’équilibre au milieu des abysses de la contrebasse -, les instruments s’agrippent, s’étreignent, se griffent parfois, sans reprendre leur souffle. Même dans les moments plus calmes, rien ne semble totalement serein. Inutile pourtant de chercher ici de l’acrimonie ou de la méfiance. L’harmonie est dans cette chamaillerie où chacun donne de la voix.

Les deux archets peuvent s’alanguir sur les cordes pour éroder à leur aise la masse du silence, il y aura toujours un pizzicato lourd comme une gifle ou à peine effleuré, un heurt sur le bois ou un râle plus accentué pour raviver une tension latente (« 05 »). La musique de Courtois et Léandre est de celle qui ne s’assoupit pas, ne serait-ce que d’un œil. Elle veille et voyage dans toutes les contrées naturelles des deux instruments. En quête d’un quatuor impossible dont l’urgence rappelle certaines pièces de Ligeti (« 01 »), ou dans cette plongée dans un blues profond où Joëlle Léandre porte la voix pendant que le violoncelle s’offre un destin de guitare verticale qui, d’aride, deviendrait fertile à peine l’archet posé (« 04 »). On passe de l’une à l’autre de ces atmosphères sans césure, ballotté et projeté par la force cinétique des échanges, mais ravi. Bien que râblé, ce Live At Kesselhaus Berlin connaît plusieurs pics d’intensité qui permettent d’apprécier le cordes-à-cordes. Dans le long « 06 », un Courtois bondissant percute une contrebasse robuste, poussé par les éclats de voix, et tout deux s’enserrent jusqu’au silence. On ne pouvait rêver meilleure entrée en matière pour cette nouvelle collection.