Chronique

Kalt

Jusqu’à l’égarement

Nicolas Stephan (ts, as, elec, fx), Louis Frères (b), Nicolas Rouayroux (dms).

Label / Distribution : Le Petit Label

Quelques années après Paar Linien, et alors que son solo reste dans les mémoires, on est toujours heureux d’avoir des nouvelles de Nicolas Stephan. C’est avec un trio qu’on retrouve le néo-havrais qui reste l’une des boussoles du Surnatural Orchestra. Dans Kalt, son nouvel orchestre, l’électronique a une place de choix aux côtés de la basse lourde et impavide de Louis Frères. Ce n’est pas une électronique transformiste ou cherchant la danse. C’est, à l’instar de « Tevisarleva », au centre de l’album, une question d’atmosphère. Quelque chose de profond, constitutif du silence, qui vient rendre les choses pesantes sans que cela ne devienne irrespirable. L’alto de Stephan évolue avec son timbre traînant au milieu de scories insaisissables et ronflantes, à peine bousculé par les cloches et les cymbales de Maxime Rouayroux, qu’on a eu l’habitude d’entendre aux côté d’Hélène Duret.

Tout est aux franges du sensible dans un disque où la tension n’est pas le sujet, mais plutôt justement la léthargie alentour. L’absence d’action qui érode peu à peu la clarté et la lumière Jusqu’à l’égarement. Il y a dès « Note à l’intention – jusqu’à l’égarement – d’un monde fasciste », qui ouvre l’album, cet équilibre qui s’effondre imperceptiblement, comme sapé à sa base, et se dissout dans un nuit épaisse : la basse lourde et métallique ronfle par réflexe, le saxophone se débat, mais l’érosion semble parfaitement inéluctable. Plus loin, le court « Glue » emporté par Rouayroux est comme une réponse, une lueur d’espoir ; le mouvement est là, désordonné, la basse a gagné en clarté, mais la chape de plomb est forte, quand bien même elle vacille.

On serait tenté de dire qu’après De la violence dans les détails, Nicolas Stéphan renoue avec un propos très politique. Mais avait-il seulement envisagé sa musique, son propos autrement ? Jusqu’à l’égarement est un disque où la musique a une approche physique, liée aux sensations, presque animale, comme s’il fallait puiser dans la simplicité, le basique pour retrouver la lumière. Paru au Petit Label, il marque un jalon de plus dans une discographie intransigeante.

par Franpi Barriaux // Publié le 13 avril 2025
P.-S. :