Scènes

Liberté printanière à la Brique

Nicolas Stephan et Carton Rouge étaient les invités de Home Factory à Rouen.


Carton Rouge © Franpi Barriaux

Continuant de proposer des panoramas du jazz et des musiques actuelles qui sillonnent l’Hexagone, l’association Home Factory avait invité pour un double plateau, en cette fin de mois de mai, le saxophoniste Nicolas Stephan et le duo Carton Rouge, récent finaliste de Jazz Migration. Retour à La Brique, lieu devenu emblématique de la Rive Gauche de Rouen, au milieu des vélos en réparation et du fidèle flipper.

Le soleil est insolent malgré l’heure tardive lorsqu’on pénètre dans les lieux où nous attendent déjà Nicolas Stephan et ses multiples accessoires. Le saxophoniste du Surnatural Orchestra s’est échappé quelques instants du collectif pour un solo très personnel. On sait l’artiste fort imaginatif, avec un univers puissant ; avec Null, il interroge le fond en bousculant la forme, usant de nombreux artifices, de l’électronique pour travailler le son jusqu’aux platines et leurs vinyles volontairement usinés qui créent de l’incertitude.

Nicolas Stephan © Franpi Barriaux

C’est le travail sur le son qui passionne d’entrée. Le timbre du saxophone de Stephan est assez familier, par sa pureté comme par sa chaleur. Au ténor, la place est à l’introspection ; c’est le moment le plus personnel, le vinyle ne servant qu’à l’introduction, à la mise en bouche. Peu à peu, les artefacts prennent de l’importance, et la focale se décale. Il est question de grands espaces dans « Arbres et rivières », et la musique qui tressaute sur la platine a l’insistance criarde des oiseaux nicheurs. La volonté de Nicolas Stephan est de nous convier dans un univers très personnel, fruit d’un climat très travaillé. On y pénètre avec bonheur.

Carton Rouge © Franpi Barriaux

Avec Carton Rouge, c’est une autre couleur qui est convoquée, même si le goût pour l’aventure est le même. Inspiré par la tradition d’un free jazz sans concession, porté par exemple par Rodrigo Amado, le duo explose sans préavis. Le set est d’un seul tenant, l’énergie y est un moteur poétique entre talents bruts. Le saxophoniste Liam Szymonik porte souvent à l’incandescence un échange fougueux où la complicité avec le batteur Émile Rameau ne souffre pas de contestation. On comprend aisément ce qui a enthousiasmé le jury de Jazz Migration qui les a portés en finale : la musique de Carton Rouge est ardente et très mature au regard du jeune âge de ces étudiants du CNSM. Le jeu de Rameau est celui qui impressionne le plus, quand le saxophone est le garant de la maîtrise. On est interpellé par sa puissance, même s’il se perd parfois dans un trop-plein de générosité en maniant des cymbales sur les fûts. Formé à la fantastique et libertaire école d’Uzeste, Rameau parvient toujours à reprendre le cap franc d’un Carton Rouge dont la sortie la plus attendue est désormais celle d’un album.