Chronique

Kate & Mike Westbrook

Fine’n Yellow

Kate Westbrook (voc), Chris Biscoe (as, ss, acl), Pete Whyman (as, ss, cl, bcl), Mike Westbrook (cla), Steve Berry (b), Jon Wiseman (dms)

Label / Distribution : Autoproduction

Ils sont rares, les albums dédiés au public, même aux plus fidèles d’entre tous, ceux qui accompagnent et soutiennent les artistes depuis toujours. Le nouvel album de Kate et Mike Westbrook, Fine ’n Yellow est destiné à rendre hommage à John et Margery Styles. Les Styles, tous deux décédés, géraient depuis 1985 un bulletin d’information sur les Westbrook. Il en résulte une fresque nostalgique et tristement souriante du temps qui passe et qui emporte avec lui la jeunesse et les amis…

On retrouve dans cette nouvelle création du couple anglais des musiciens régulièrement associés à ce qu’il convient de définir comme une troupe. C’est ainsi que le saxophoniste Chris Biscoe côtoie le multi-anchiste Pete Whyman. A ce quartet d’habitués s’ajoute une section rythmique très inhabituelle chez Westbrook qui écrit souvent pour des groupes sans batterie, voire sans basse. L’apport du soyeux Steve Berry à la contrebasse et surtout de Jon Hiseman à la batterie, qui par ailleurs a mis l’album en son, est une ouverture dans l’écriture de l’Anglais. On connait le jeu pétulant de ce batteur, amateur de la double pédale de grosse caisse, ancien compagnon de route de John Mayall et leader du groupe de jazz rock Colosseum [1]. Ici, Hiseman semble se fondre dans le collectif en apportant sa technique remarquable, sans virtuosité inutile [2], sur des morceaux comme « Yellow Dog », écrit pour lui. Il est très intéressant de voir Westbrook, nourri de Kurt Weill et de toute la musique écrite européenne, placer la section rythmique en exergue sans pour autant infléchir sa musique, et poursuivre son méticuleux entrelacement de cuivres. C’est tout le talent de cette paire rythmique complémentaire et raffinée.

Un album des Westbrook est toujours empreint de temporalité et de narration. Qu’il évoque Ellington - auquel le compositeur se réfère régulièrement avec déférence -, ou qu’il s’empare de figures aussi disparates que les Beatles ou Rossini, Westbrook a besoin de raconter pour créer. Dans cette évocation d’inconnus si intimes, le jeu de mot du titre associe la couleur jaune et le standard de Billie Holiday « Fine and Mellow », et la métaphore se file sur la couleur préférée de Margery Styles. L’histoire d’amour simple ne sombre jamais dans la sensiblerie, même sur l’émouvant « My Lover’s Heart » où le travail d’écriture pour les cuivres donnent de la profondeur à la chanson. Le disque se termine d’ailleurs sur une pétillante bluette (« What I Like ») digne des comédies musicales fifties où Kate, qui mène très clairement cet hommage, s’amuse comme pour se rappeler des moments joyeux et renouer avec les facéties musicales de Mike…

Fine ’n Yellow, c’est l’occasion de découvrir que la voix de Kate a pris le grain de l’âge : elle est plus profonde et granuleuse qu’il y a quelques années ; plus « tannique » sans doute. Quant à la musique de Mike, elle a l’élégance immuable du tailleur anglais consciencieusement confectionné par un perfectionniste, d’autant que le sujet semble aiguiller Westbrook vers la simplicité et le raffinement.

par Franpi Barriaux // Publié le 4 octobre 2010

[1Groupe phare du jazz rock anglais des années 70-80 ayant compté dans ses rangs Gary Moore.

[2Voici un exemple concret de virtuosité inutile …