Chronique

Rempis/Parker/Flaten/Cunningham

Stringers and Struts

Dave Rempis (as), Jeff Parker (g), Ingebrigt Håker Flaten (b), Jeremy Cunningham (dms)

Label / Distribution : Aerophonic

Chicago réunifié, voici ce que propose Stringers and Struts, des éléments d’un pont. Un pont qui fait le lien entre un free jazz dont l’énergie vaut bien tous les énervements binaires du monde, et un rock raffiné qui voit plus loin que le bout de son binaire. Avec son nouveau quartet, le saxophoniste Dave Rempis pose de vraies bases, et pas seulement à cause d’un baryton colérique ou d’un ténor fulminant. On sait depuis longtemps qu’il est capable de tout renverser en un souffle voire en un cri, surtout lorsque, comme ici, il est accompagné d’une base rythmique puissante et immuable : le batteur Jeremy Cunningham, jeune pousse de l’Illinois couvé par Aerophonic Records, et le compagnon de longue date Ingebrigt Håker Flaten qui est ici, peut-être mieux que nulle part ailleurs, dans son élément. La basse est lourde, grasse, imposante et en même temps d’une agilité qui défie la logique. Dans « Harmany », alors que le saxophone ponctue un dialogue avec le guitariste Jeff Parker, la basse bâtit un terrain de jeu propice, presque primesautier, puis choisit plutôt la mer agitée. Des ponts imposants, il faut bien tester la solidité.

Car le voici, le pont, dans la rage des remous ; Jeff Parker, la légende de Tortoise, se mêle à ces joyeux agitateurs, prêt à tout passer par-dessus le bastingage. Le saxophone ténor de Rempis dans « Harmany » est très carré, le son est posé, puissant, sans agressivité superfétatoire. Il va droit au but, s’engouffrant dans la route rectiligne tracée par Cunningham pour inciter le guitariste à jouer simple, direct, ce qu’il fait à merveille. La guitare semble d’abord en retrait, mais elle sculpte en réalité le son, sans effets inutiles ni rage électrique. Le son de la guitare est rauque mais précis, et joue comme l’accélérateur d’un mécanisme tourbillonnant où basse et batterie semblent inarrêtables. Il y a tempête et elle nous emporte, sans que la structure bouge d’un millimètre ; la solidité est à l’épreuve du déchaînement.

« Caviste » qui clôt l’album sera davantage déstructuré, comme on se relève après un cataclysme pour mieux compter ses abattis. Rempis est d’ailleurs plus chancelant, son timbre se fait sablonneux, chargé de limon pendant que la batterie rassemble les forces pour repartir en ligne droite. Jeff Parker babille d’abord sur ses frettes les plus arides, au plus aigu du manche, avant de réorganiser lui aussi un discours qui se teinte d’un blues lointain, qui vient sans même y songer. Le quartet repart sur ses deux jambes et continue de tracer sa route. Chicago est immuable.

par Franpi Barriaux // Publié le 21 mars 2021
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