Entretien

Mike Westbrook, l’ingénieur des ponts

Rencontre avec le compositeur anglais Mike Westbrook.

Mike Westbrook © Alessandro Eusebi

Il est des héros discrets. Mike Westbrook est de ceux-là. Depuis le tout début des années 70, le pianiste, compositeur et corniste anglais propose une musique élégante, riche, intelligente, hors des modes et des sentiers battus, avec toujours sa femme Kate à ses côtés. Passionné de théâtre, insufflant à sa musique une théâtralité hors du commun, Westbrook fête ses 85 ans cette année et ne semble jamais rassasié, multipliant les projets, les envies et les collaborations avec une gourmandise rare. La discographie pléthorique de Mike Westbrook a souvent été évoquée dans Citizen Jazz, à l’occasion de son récent anniversaire ou de ressorties de ses plus impressionnants jalons. Se pencher sur la discographie de l’anglais, c’est souvent la certitude d’en revenir changé, tant les idées, les partis pris et l’intelligence du propos sont immenses. De William Blake à Duke Ellington, on savait que l’interview - rare auprès de médias francophones - ne pouvait être que riche. Offrir la parole à Mike Westbrook, c’est comme s’installer au cœur d’une luxueuse et très démocratique bibliothèque : le savoir et les souvenirs viennent toujours d’eux-mêmes. Rencontre avec un musicien humaniste et radicalement libre. Un ingénieur des ponts, et pas que le London Bridge : entre les musiques, les époques, les cultures. Entre le théâtre et le jazz aussi. Un vrai artiste à part.

Mike’s Big Stage © Tara Keogh

- Voilà plus de 50 ans que vous menez votre carrière. Quels sont les meilleurs souvenirs de toutes ces années ?

J’ai eu la chance de voyager et de jouer de la musique dans toutes sortes de situations, dans différents pays, en travaillant avec des gens merveilleux. Chaque prestation est mémorable, pas seulement les « grandes occasions ». Les petits concerts dans les clubs de jazz sont tout aussi importants. Et pour un musicien de jazz, la performance la plus mémorable est toujours la prochaine.

Parmi les nombreux moments forts, en voici un exemple : en 1983, Phil Minton, Kate Westbrook et moi-même, avec Chris Biscoe, Chris Hunter et Tony Marsh, nous avons joué les chansons de William Blake à la Jazz Church, St. Peters, à New York. À cette occasion, j’ai eu l’opportunité de jouer sur le Steinway de feu Billy Strayhorn. Notre voyage a coïncidé avec l’anniversaire de la naissance d’Ellington, le 29 avril. Plusieurs stations de radio ont diffusé la musique de Duke toute la journée. Elle passait à la radio lorsque nous sommes allés prendre le thé avec Gil Evans. C’est de cette expérience qu’est née ma composition On Duke’s Birthday.

Mike Westbrook © Roberto Priolo

- Lorsqu’on regarde vos orchestres, on distingue des musiciens fidèles ; vous dédiez des albums à des musiciens chers qui nous ont quittés. Est-ce qu’on peut considérer que vous pensez votre art comme une troupe, au sens du théâtre ? On pense notamment à Chris Biscoe, Pete Whyman ou Phil Minton, mais aussi Dominique Pifarély…

La continuité des liens entretenus avec les musiciens est essentielle. Mais les musiciens ont tous des carrières indépendantes et ne sont pas impliqués dans chacun de mes projets. Il y a eu une succession de groupes, l’instrumentation de chacun d’entre eux variant en fonction de la musique interprétée. Il s’agit rarement d’une formation de jazz standard. En réalité, nous avons constitué un groupe sympathique de musiciens qui ont travaillé avec nous dans de nombreuses combinaisons différentes, du trio au big band. Parmi ceux qui travaillent régulièrement avec Kate et moi, citons Phil Minton, Chris Biscoe, Pete Whyman, Alan Wakeman, Dominique Pifarély, et plus récemment Roz Harding, Billie Bottle, Marcus Vergette et Coach York.

J’ai tendance à considérer chaque représentation comme une expérience théâtrale et musicale


- Venons-en au théâtre : De The Cortège à Mama Chicago, votre musique est souvent très scénarisée, voire opératique. Est-ce que raconter une histoire est important dans votre processus créatif ? Est-ce que Platterback a dans ce processus une place particulière ?

J’ai tendance à considérer chaque représentation comme une expérience théâtrale et musicale, même en l’absence de thème ou d’histoire cohérente. J’ai composé pour des comédies musicales, notamment Tyger, une célébration de William Blake par le poète Adrian Mitchell, pour la National Theatre Company en 1971. J’ai aussi composé occasionnellement pour la télévision et le cinéma. Kate et moi avons écrit plusieurs opéras et pièces de théâtre, ainsi que des oratorios de jazz combinant poésie, musique et spectacle.

Dans les années 1970, j’ai beaucoup travaillé dans le domaine du théâtre alternatif, écrivant pour toutes sortes d’événements multimédias à grande échelle, des spectacles de cirque et de la musique de rue. C’est dans ce contexte que le Brass Band a été formé. Kate et moi avons commencé à écrire des spectacles à thème pour cet orchestre. Nous utilisions le terme « Jazz Cabaret » pour décrire des assemblages lâches de matériaux divers - chansons, poésie et improvisation.

Avec Mama Chicago, au milieu des années 70, nous avons commencé à écrire des spectacles plus intégrés, avec une musique et des paroles originales. Nous les avons joués et avons fait des tournées, généralement avec un groupe de cinq ou six musiciens, parfois en duo, ou avec le trio, parfois avec un orchestre complet. Certaines pièces font appel à des acteurs. Parmi les productions passées, citons Platterback, l’histoire de cinq personnages lors d’un voyage en train, The Serpent Hit, une fable politique, Bar Utopia, un cabaret en Big Band, Cuff Clout, The Neoteric Music Hall de Kate, et la récente Paintbox Jane, qui s’inspire du peintre Raoul Dufy. Le cabaret jazz reste notre mode de travail privilégié. Actuellement, avec le Granite Band de Kate, nous interprétons sa pièce Earth Felt to the Wound sur le thème de l’environnement. Avec le Westbrook Quartet, nous présentons Love Or Infatuation, un cabaret basé sur les chansons d’Hollywood de Frederick Hollander. La musique de la plupart des spectacles est disponible sur CD et sur BandCamp.

- On a l’impression aujourd’hui qu’une nouvelle génération vous redécouvre, notamment depuis la réédition de The Cortège. Vous avez enregistré il y a quelques temps The Uncommon Orchestra avec des jeunes musiciens. Le temps ne semble avoir aucune prise sur votre musique, comment l’expliquez-vous ?

J’aimerais croire que notre musique communique avec le jeune public, mais je n’en suis pas sûr ! Il existe des dérivés du jazz qui peuvent devenir très populaires, mais le jazz n’est pas seulement un divertissement, c’est aussi un art sérieux. Cependant, une fois que l’on est accroché, on a envie d’aller plus loin, car pour être vécu pleinement, le jazz exige un engagement à vie. Cependant, il est vrai que de nombreux jeunes musiciens étudient aujourd’hui le jazz et ont envie de jouer. J’ai de la chance car, au fil des ans, de nouveaux musiciens sont souvent venus dans le groupe, apportant de l’énergie et des idées nouvelles.

L’Uncommon Orchestra en est un exemple. Il a commencé comme un projet communautaire il y a dix ans, un véritable mélange des générations, des vétérans chevronnés aux étudiants et même aux enfants à l’école. L’orchestre enregistre aujourd’hui des albums et se produit dans de grandes salles de jazz.

The Uncommon Orchestra © Robert Burns

- Quel regard jetez-vous sur la scène britannique actuelle ?

Ce n’est pas une période facile pour les arts. Le jazz a eu tendance à exister à la limite du spectre culturel, valorisant la liberté de création et l’indépendance. Ces dernières années, le public a diminué. Les musiciens de jazz semblent osciller entre l’art officiel et le divertissement populaire. En vérité, ils devraient incarner les deux. Le jazz est vulnérable aux réductions du financement des arts. La pandémie a été une quasi-catastrophe pour tous les arts du spectacle et les restrictions sur les voyages à l’étranger imposées par le Brexit sont une tragédie pour beaucoup d’entre nous dont le travail en Europe était plus important à bien des égards que le travail au Royaume-Uni.

Mais les musiciens aiment jouer du jazz et il y a un public pour cela. Ce ne sont pas les musiciens et les compositeurs de talent qui manquent. Ils trouveront toujours des endroits où jouer. Après le hiatus du Covid, il est peut-être temps pour les musiciens de jazz de prendre en main leur propre destin afin qu’une fois encore, la scène soit dirigée par des artistes et non asservie à la mode et à la marchandisation. Je crois que le jazz est la musique de l’espoir.

Après le hiatus du Covid, il est peut-être temps pour les musiciens de jazz de prendre en main leur propre destin, afin qu’une fois encore, la scène soit dirigée par des artistes et non asservie à la mode


- Vous avez toujours été un artiste hors des modes et des étiquettes. Néanmoins, quel est votre regard sur les années 70 en Grande Bretagne et notamment sur la Canterbury Scene, vous qui avez accueilli Lindsay Cooper parmi vos musiciens ?

C’est sans doute un désir de liberté d’expression qui m’a attiré vers le jazz. Je voulais trouver ma propre voie, faire mes propres erreurs et ne pas adhérer à une quelconque orthodoxie. Étant autodidacte, j’ai dû apprendre au fur et à mesure. Les défis se sont succédés, et c’est toujours le cas. Ma génération a eu la chance de naître à une époque où les barrières sociales et culturelles tombaient.

En tant qu’artiste, on avait l’espace nécessaire pour trouver sa propre voix. L’originalité et l’innovation étaient à la mode. Je n’ai jamais voulu me laisser enfermer dans un style particulier. Je n’ai jamais été un fan de l’école de Canterbury et du « rock progressif » autoproclamé, même si je sais qu’ils font l’objet d’un grand culte. Je trouvais plus excitant ce qui se passait parmi mes contemporains sur la scène du jazz. Cependant, The Orckestra (sic) avec le Brass Band, Henry Cow et Frankie Armstrong représentait une collaboration assez intéressante, plus politique et sociale que musicale, même si nous avons trouvé un terrain d’entente.

L’écriture d’arrangements pour l’ensemble, ma toute première pour le violoncelle et le basson, m’a permis de me remettre à écrire à plus grande échelle. Lorsque Kate et moi avons écrit The Cortège, nous avons demandé à Georgie Born et Lindsay Cooper d’y participer.

Westbrook © Tara Keogh

- Votre femme Kate Westbrook a un rôle primordial dans votre musique, ce qui induit également de nombreuses incursions dans la poésie. Quel est votre rapport à la littérature ?

Lorsque nous nous sommes rencontrés au début des années 70, Kate, qui était peintre, enseignait à temps partiel au Leeds Colege of Art, alors à l’avant-garde du théâtre et de la performance. J’avais quitté mon emploi de jour pour devenir musicien à plein temps. Je n’avais pas de groupe régulier et je travaillais surtout avec des groupes de théâtre alternatif, notamment Welfare State, basé à Leeds, avec lequel Kate était également impliquée. Lorsque nous avons décidé de vivre et de travailler ensemble, bien que nous soyons déjà bien établis, Kate en tant que peintre et moi en tant que compositeur, nous avions besoin de trouver une nouvelle direction pour la musique.

Celle-ci est venue de façon inattendue de la musique de rue : le rejet des big bands, des groupes de rock et d’une scène jazz restrictive en faveur de la création musicale à son niveau le plus basique - un petit groupe acoustique jouant ce que ses membres voulaient jouer où on leur demandait de jouer. Avec deux chanteurs dans le groupe, les chansons étaient toujours au répertoire, notamment les adaptations de Blake et les chansons de théâtre de Brecht/Weill.

Puis, avec Mama Chicago, Kate et moi avons commencé à écrire des spectacles originaux pour le groupe, comme déjà évoqué. Mama Chicago a eu sa première française au Festival d’Angoulême. Le groupe a commencé à faire des tournées à l’étranger, notamment en Europe, et en 1979, il a formé le noyau de l’orchestre qui a interprété The Cortège, une œuvre qui comprenait des mises en musique de poèmes européens, chantés dans les langues originales. Les poèmes de cette œuvre et d’autres compositions « européennes » similaires ont été choisis par Kate. Sa connaissance de la littérature était cruciale, tout comme ses propres textes et son intérêt pour le chant dans les langues des pays dans lesquels nous nous produisions. Nous sommes devenus des collaborateurs pour l’écriture de chansons. Au fil des décennies, nous avons produit une grande variété de musiques pour la voix, des chansons de cabaret à l’opéra.

Pour moi, le piano est un pont vers tous les types de musique


- Duke Ellington est un musicien primordial dans votre discographie : on pense notamment à vos diverses interprétations de « It Don’t Mean a Thing ». Quel est votre rapport à Ellington ? Plus globalement, quelles sont vos grandes influences musicales ?

Mon père m’a fait découvrir Duke Ellington quand j’étais adolescent. Un 33 tours de 10 pouces du groupe de Duke des années 1940, qui a été ma bible pendant de nombreuses années. Je l’ai toujours, très usé et rayé. Ce fut le début d’une découverte de toute l’histoire du jazz qui a été ma principale inspiration.

Au début, j’ai essayé de copier ce que j’entendais, mais quand je me suis lancé dans mon propre projet, la musique de Duke, de Strayhorn et d’autres a été absorbée par mon propre organisme musical, davantage qu’une influence directe. Cette influence a toujours été bien présente, mais je n’ai joué que rarement le répertoire d’Ellington et je n’ai pas étudié consciemment ses méthodes. Je suis simplement un fan. Au fil des ans, mon horizon musical s’est élargi. Je suis devenu plus sensible à la tradition classique occidentale. La musique pour piano a été particulièrement importante pour moi, de Chopin à Debussy, Ravel et, un de mes favoris, Satie.

Pour moi, le piano est un pont vers tous les types de musique. La musique de théâtre a également été importante pour moi. L’Histoire du Soldat de Stravinsky a eu un impact majeur, ainsi que les œuvres de Brecht et Weill, Cole Porter ainsi que d’autres compositeurs de Broadway, et maintenant la musique hollywoodienne de Frederick Hollander.

A Play of Wonders © Tara Keogh

- Vous avez enregistré votre propre version du disque Abbey Road des Beatles à la fin des années 80. Pouvez-vous nous en expliquer le processus ? Comment s’approprie-t-on la musique de McCartney pour la faire sienne ?

En 1988, un festival à Bologne a organisé un hommage aux Beatles. J’ai été invité à y participer. Je n’avais jamais joué leur musique, et je ne possédais aucun de leurs disques. J’avais entendu Sgt Pepper et j’avais compris que quelque chose d’important se passait là. Mais cela ne faisait pas partie de mon univers. J’ai néanmoins décidé d’essayer d’écrire quelque chose et, alors que nous faisions le tour de l’Europe en minibus, j’ai acheté une cassette des Beatles à chaque arrêt d’autoroute. J’ai dressé une liste de quelques-unes des ballades les plus attrayantes, qui pourraient se prêter à une interprétation jazz. Cependant, avec l’exemple malaisant de personnes comme Frank Sinatra et Ella Fitzgerald tentant de faire swinguer ce genre de matériau, j’ai réalisé qu’il était nécessaire d’essayer de comprendre l’idiome. Un jour, je me suis réveillé en réalisant que je devais faire une version de l’album Abbey Road dans son intégralité.

Ma première étape a été d’écrire une partition de tout ce qui se passait sur l’album. J’ai ensuite travaillé dessus comme je le ferais pour n’importe quel autre matériau, en essayant d’y trouver ma voie. J’ai découvert que certaines chansons devaient conserver leur structure originale. D’autres pouvaient être étendues, les thèmes répétés, parfois ré-harmonisés, et étaient ouvertes à l’improvisation. Toujours, je l’espérais, dans le respect du concept des Beatles.

J’ai ajouté de plus en plus de pages à la partition. La composition de l’orchestre était une variante de la formation de Rossini avec laquelle nous étions en tournée. Puis Phil Minton a rejoint Kate au chant. La guitare de Brian Godding est devenue un élément central du projet. Le tuba d’Andy Grappy a continué à jouer le rôle de la basse. Alan Wakeman et Pete Whyman formaient la section saxophone et Peter Fairclough, originaire de Liverpool, était à la batterie. L’Abbey Road des Beatles était une création de studio. Je ne crois pas qu’il ait jamais été joué en direct dans son intégralité. Lors de la représentation, elle s’est révélée être un cabaret sur la vie contemporaine qui devait autant au music-hall anglais qu’au rock’n’roll.

je trouve qu’il est tout aussi important de travailler avec du matériel existant que de créer des compositions originales


- Ce sont des challenges que vous aimez, on se souvient notamment de tout un travail autour de Rossini. Est-ce que c’est amusant de travailler avec pour contrainte d’utiliser un matériel musical existant et de le transformer, le sculpter ?

Depuis les premiers balbutiements du jazz, les musiciens s’approprient la musique du monde qui les entoure et la réinventent dans leur propre style. Cette tradition se poursuit aujourd’hui et, en tant que compositeur, je trouve qu’il est tout aussi important de travailler avec du matériel existant que de créer des compositions originales. Cependant, je n’ai jamais été un adepte du « jazz des classiques ». Jusqu’à ce que, en 1984, on nous demande d’écrire pour le Festival Guillaume Tell de Lausanne et que Kate suggère d’étudier l’opéra de Rossini.

J’ai arrangé l’ouverture pour un petit orchestre de rue. Travailler sur cette musique était si agréable que nous avons ajouté d’autres ouvertures et arias d’opéras de Rossini. Nous avons fait une tournée du spectacle pendant plusieurs années. En 1989, j’ai écrit une version pour big band pour le NDR Band. Nous avons ensuite fait une tournée avec mon propre orchestre. En 1992, le Big Band Rossini a été la première œuvre de jazz jamais présentée dans le cadre des principaux Proms de la BBC à l’Albert Hall de Londres.

En 2017, nous avons eu le grand honneur de jouer cette pièce au Teatro Rossini de Pesaro, ville natale de Rossini. En octobre de cette année, nous avons été invités à ouvrir un festival Rossini dans un opéra nouvellement restauré à Lugo.

Mike & Kate Westbrook © Maureen & Douglas Green

- On a entendu ces dernières années des enregistrements solo où vous êtes au piano. Est-ce que la démarche est différente que d’écrire pour un grand orchestre ou pour un brass band ? Y mettez-vous les mêmes sentiments ?

Le piano est au cœur de tout ce que je fais. C’est un univers, plein de possibilités. C’est aussi ma table de travail quotidienne. Tout ce que j’écris, je dois le jouer d’abord au piano. Sur scène, je suis pianiste d’orchestre, accompagnateur et parfois soliste. Mais l’essentiel de mon jeu de piano se fait à l’huis clos, entendu seulement par Kate depuis son studio voisin, ou lorsque nous travaillons sur une nouvelle chanson.

En 2016, Kate et notre grand ami et producteur, le regretté Jon Hiseman, m’ont encouragé à faire un album solo. Depuis lors, j’ai donné quelques concerts en solo. Fondamentalement, je vois ces performances comme une partie du processus de composition, en improvisant, en fixant des paroles, en expérimentant et en travaillant les voicings des harmonies qui pourraient être orchestrées pour les cuivres, les saxophones ou les cordes, ou simplement rester sur le clavier. La musique peut prendre de nombreuses formes, mais aussi différentes qu’elles puissent paraître, elles ne sont que des aspects du même processus créatif.

- Pour vos 85 ans, on a pu assister à de nombreuses ressorties mais aussi à des vidéos ; vous tournez également. Quelles sont vos envies pour les années à venir ?

La scène ici ne s’est pas encore remise de la pandémie. Le Brexit est un désastre, la récession menace, plus loin la famine sévit, la planète est en danger et partout la démocratie est menacée. Et surtout, le cauchemar de la guerre entre la Russie et l’Ukraine se poursuit sans relâche. En tant que musiciens de jazz, la meilleure chose à faire est de continuer à jouer là où il y a des gens qui écoutent.

Dans tout ce chaos, nous nous accrochons à la conviction, comme le dit l’un des textes de Kate pour Paintbox Jane, que « la vérité, l’espoir, l’amour font de l’art ensemble, dans une tentative de jeunesse éternelle ». Nous venons de sortir l’album Paintbox Jane, nous avons des concerts avec le Granite Band de Kate, Rossini Re-Loaded en Italie et un nouvel album d’une représentation en direct de London Bridge, une œuvre « européenne » à grande échelle pour voix, orchestre de jazz et orchestre de chambre, créée à l’origine à Amiens en 1987.