Tribune

85 bougies pour Mike Westbrook

Le pianiste anglais fête ses 85 ans !


Alors qu’il fête ses 85 ans, le pianiste, compositeur et tubiste Mike Westbrook n’a jamais fini de nous faire des cadeaux. Après une récente livraison sur son bandcamp d’un concert inédit de son spectacle After Abbey Road avec un orchestre remanié, presque quinze ans après la sortie du disque, ce sont deux pépites des années 80 qui refont surface, sous la forme d’un concert à Paris à la Chapelle des Lombards avec l’un de ses plus joyeux brass bands et le mythique The Ass, sorti en 1985, forme de concert théâtralisé en Sicile qui symbolise à lui seul toute la douce folie et la poésie de l’Anglais.

Il y a dix ans, pour les 75 ans de Mike Westbrook, nous nous félicitions de la sortie de The Cortege, l’un des fleurons de sa discographie. Si The Ass est peut-être moins connu, il est, comme Mama Chicago par exemple, un symbole de la mise en scène, de la notion de troupe qui entoure la musique de l’Anglais. Épargnons-nous d’abord quelques ricanements globish : The Ass, c’est un âne sauvage, à l’inverse de The Donkey, sa version domestiquée. Même si le texte, tiré d’un poème de D.H Lawrence, l’auteur de L’amant de Lady Chatterley joue sur les ambiguïtés grivoises :

Poor ass, like man, always in a rut,
The pair of them alike in that.
All his soul in his gallant member
And his head gone heavy with the knowledge of desire
And humiliation.

Amoureux de la Sicile comme le poète, les Westbrook sont notamment allés y chercher, à Taormina, là où Lawrence a écrit, un chant traditionnel où il est question d’un âne : « Lu Me Sceccu » [1], où s’illustre l’accordéon du - par ailleurs - clarinettiste Trevor Allan, est une danse joyeuse. On imagine une fête de village un peu alcoolisée, une fin de soirée où le fidèle Trevor Whyman revêtirait un masque d’âne, et où Kate Westbrook entonnerait avec la violoniste Lesya Melnik un chant gentiment lunaire ; un magnifique interlude dans une galerie de tableaux animée avec la compagnie italienne Foco Novo, qui tient autant de la comédie que du joyeux foutoir organisé avec humour, où surgit l’élégance d’un instant de piano (« The Steppes of Tatary »). Le Sicilian Band, quintet sans batterie dédié à ce seul spectacle, peut se permettre toutes les acrobaties avec une déconcertante agilité de bateleur.

The Paris Album est un album plus confidentiel. Dans les live cruciaux de Westbrook, il ne situe peut-être pas au niveau de Catania ou de The Orchestra of Smith Academy, des canons du genre. Il témoigne néanmoins d’un brass band peu documenté en disque (The Goose Sauce, sorti en 1978, est un album studio non réédité). Un groupe ouvert et très joueur, avec une tendance très free malgré un instrumentarium qui évoque un orchestre swing (Westbrook au piano et tuba, Phil Minton au chant et à la trompette, Chris Biscoe à tous les saxophones), comme on peut l’entendre dans le très léger « Serpent Magre ».

On voit d’ailleurs, sur la pochette, l’excellent batteur Dave Barry tenir un serpent… Qu’on n’entend pas dans le disque ! Mais cette musique de brass band, que Westbrook adore, se déconstruit gentiment dans « Windy City Blues » où le piano martèle des basses que Phil Minton va littéralement croquer avec ses habituelles onomatopées. Quant à Biscoe, il va faire exploser le morceau en vol avec des coups de boutoir que Barry accompagne d’un drumming nerveux. L’enregistrement de mai 1981 est une belle illustration des envies inclassables qui ont toujours animé Kate et Mike Westbrook, jusqu’au soyeux « L’égalité des sexes » que Kate chante en français, dans une orchestration qui rappellera The Cortege dans une forme réduite à l’essentiel. Une fête, de quoi célébrer en fanfare les 85 bougies du maître anglais.

par Franpi Barriaux // Publié le 18 avril 2021

[1Récemment, Westbrook en a proposé une relecture avec le Uncommon Orchestra, en vidéo ici.