Scènes

Kevin Norwood au Cri du Port

Kevin Norwood quartet au Cri du Port, janvier 2015


Tant pis pour les Marseillais qui ne mettent pas le nez dehors par temps de pluie : le concert proposé le 29 janvier par le quartet de Kevin Norwood nous a séchés, au propre comme au figuré, en même temps qu’il nous a réchauffé l’esprit et le corps.

L’ambiance se construit d’abord rubato, puis la voix lance le groove. Le chanteur met en branle sa gestuelle de saxophoniste (il pratique l’instrument depuis l’âge de 11 ans) dans l’exposé du thème et passe le relais à un solo « evansien » de Strazzieri, ce qui met Kevin Norwood en état de transe. La réaction chimique est alors amplifiée par un premier chorus de Cédric Bec, tout en cymbales, cependant que le leader semble traversé d’ondes d’imprécation. Car, oui, ce jeune homme sait se faire preacher sans se faire prier…

La bossa « Keep The Headland » met en valeur le solo tout en nuances de Samuel Favreau, maître du vibrato. Les II/V/I mineurs font sourdre une tendre colère, renouant avec l’esprit originel à tonalité révolutionnaire. Pas étonnant alors que lui succède un chorus de piano « à la Jamal » - on sait que le sage de Pittsburgh conféra à ce jazz tropicalisé ses lettres de noblesse. Et pour rester dans la moiteur, c’est une coda presque shuffle qui conclut ce brillant essai.

Vient un AABA tout en funk sur les A et tout en swing sur le pont. On reconnaît bien là la patte de Favreau, biberonné au percussions africaines et leader du projet phocéen Funkestra. C’est un solo de batterie tout en toms, amené par des steam rolls des plus archaïques, qui mettra le feu aux poudres. Le batteur pousse le pianiste vers des explosions de blue notes lors d’un solo tout en swing, en balançant des bombes à la Roy Haynes. Au tour de Norwood de se lancer dans le maelström sonore, conviant le public hors du temps. S’il y avait des anges, ce jeune chanteur les tutoierait. Mais c’est aussi un diable qui a le blues. Et les croches ternaires de s’enfiler telles des perles sur un écrin. C’est là une technique de conteur.

On calme le jeu avec la tendrissime ballade « Isaac », histoire d’une naissance one day before Christmas. Esprit du gospel, m’entends-tu ? Le pianiste impose un tempo d’acier et donne de la spiritualité à l’ensemble par ses call and response avec le batteur, puis avec le contrebassiste, qui se lance dans un chorus tout à l’économie afin de mieux faire entendre l’âme, bien réelle celle-ci, de son instrument. Le tempo s’accélère sur le premier morceau de l’album, « Real Brother », qui déclenche les hostilités par des arpèges enrichis d’accents bluesy. Pas de piano au départ, mais un groove autorisant Vincent Strazzieri à se lancer dans un solo out pour terminer sur des arpèges afro, le tout sur un 6 temps des plus convaincants et dans une veine shorterienne.

Il fallait bien un rappel pour ces Provençaux de retour dans la Cité phocéenne. En ces terres de jazz, c’est un swing monkien qui marque l’avant-dernière proposition, un bebop des familles à l’occasion duquel Strazzieri ose une citation de Pierre et Le Loup… clin d’œil à quelque collègue de l’Amazing Keystone Big Band ? Ou simple joie enfantine de conter encore et toujours ? Des 8/8 basse/batterie avec un Bec monstrueux aux balais ramènent le thème, après une impro-chant des plus hendricksienne (de Jon, pas Jimi !). En guise de berceuse, une ballade conclura ce set dans une ambiance propice aux rêves les plus doux.

Norwood a décidément l’étoffe des vrais leaders si l’on en juge par ses superbes compositions, la grande liberté qu’il laisse aux musiciens et les propositions qui fleurent bon les arômes d’un jazz sans autre prétention que de nous donner à respirer.