Chronique

Christophe LeLoil

OpenMindeD

Christophe Leloil (tp, bgl), Julia Minkin (voc), Andrew Sudhibhasilp (g), Pierre Fénichel (b), Cédrick Bec (dm)

Label / Distribution : Onde Music

Et de quatre ! OpenMindeD (prononcez OMD) est le quatrième album en tant que leader du trompettiste d’origine normande installé à Marseille depuis une bonne décennie, Christophe Leloil. Avec, comme à chaque fois, une exigence esthétique renouvelée. Là, c’est au guitariste Andrew Sudhibhasilp qu’il a fait appel dans sa quête d’un son autrement plus éthéré que lors de ses précédentes expériences -que l’on se souvienne notamment de son quartet « Line 4 » qui, avec Carine Bonnefoy au Fender Rhodes notamment, fleurait bon le funk le plus expérimental. La chanteuse chicagoane Julia Minkin, installée dans la cité phocéenne depuis quelques années et qui s’exprima dans le projet électro à succès de Kid Francescoli, est aussi de la partie, amenant une saveur douce-amère aux compositions.

Loin d’être une « prise » pour Leloil, le guitariste au jeu holistique et la chanteuse à la voix diaphane, avec quelques accents canailles, lui donnent l’occasion d’explorer des sensations musicales inédites et contrastées. Les propositions alignées ici ne sont pas sans rappeler le son du trio anglais Azimuth qui, dans les années soixante-dix, développait un « jazz de chambre » d’obédience folk, fondé sur les entrelacs voix féminine, trompette, piano. Par un sens du jeu orchestral, le guitariste et le trompettiste sollicitent la chanteuse dans des séquences qui flirtent avec l’expérimentation tout en visant la une forme de légèreté pop et d’acidité folk . Non sans un bon gros sens du blues et du swing, avec une appétence poétique des plus sensible et pertinente (saluons la présence, dans le livret, des textes évoquant la ville natale de la chanteuse). C’est un jazz très contemporain, que l’on peut retrouver notamment chez Airelle Besson ou chez le batteur Guilhem Flouzat. La fonction véritablement instrumentale allouée par ces derniers à la chanteuse Isabel Sörling s’apparente d’ailleurs aux traits vocaux de Julia Minkin pour OMD.

Pour contribuer à ce bouleversement des sens, la trompette de Leloil se fait volontiers furtive et naturelle, quand son bugle déploie des traits mélodiques pleins et chaleureux, en miroir avec ses partenaires - il s’aventure même à pourvoir des basses, avec un sens rythmique sans pareil. Ses solos sont puisés dans la matière des rêves : d’une rare spiritualité, ils ont l’intensité d’un imaginaire qui ne serait jamais en défaut - Leloil a d’ailleurs composé la plupart des pièces de ce disque pendant le premier confinement et l’on sent simultanément comme une souffrance et comme une plénitude dans son jeu. Souvent chaleureuse, parfois nimbée d’une mystérieuse froideur (ô oxymore), la musique, finement ciselée, fait advenir des paysages contrastés. Véritable création collective, elle circule librement et apparaît dans une évidence naturelle, tout en faisant advenir des paysages infinis, tantôt extérieurs, plutôt urbains, mais, surtout, intérieurs aux personnalités des membres du groupe.

La plupart des compositions sont signées Leloil mais on sent qu’il a donné à ses partenaires toute latitude pour enrichir son intention créatrice. La profondeur existentielle de ces pièces est soutenue par une rythmique à la créativité sans faille. Pierre Fénichel, lyrique et groovy à souhait à la contrebasse, nourrit le son collectif par des lignes d’une rare pertinence, quand il n’esquisse pas quelque chorus bluffant. Cédrick Bec déploie une maestria batteristique sans pour autant forcer le trait d’une quelconque virtuosité, tellement il est au service de l’ensemble - il signe même une composition renversante, « Watch the Children Play », où l’on visualise le groupe comme une bande de minots se faisant des passes.

Une très belle production de Ben Rando, boss du studio Eole et du label Onde Music, basé dans la campagne aixoise, dont les tentations pop et l’exigence jazzistique sont réputées sous les latitudes provençales et d’ailleurs. En soufflant le chaud et le froid, l’onirique et le sensuel, l’angulaire et le circulaire, OpenMindeD finit par affoler les sens et faire véritablement œuvre d’art.