Scènes

Laura Perrudin au 1988 Live Club (Rennes)

Depuis début 2014, le « 1988 live club » de Rennes porte plus d’attention aux groupes et artistes locaux. La harpiste et chanteuse Laura Perrudin en est une des bénéficiaires.


La saison jazz 2012 - 2013 à Rennes a été marquée par l’arrivée d’un nouveau club, le 1988 jazz club, sous la houlette de Sébastien Bétin (propriétaire) et de Yann Martin (directeur artistique). Malgré une programmation régulière éblouissante (Moutin Réunion quartet, Géraldine Laurent, Pierrick Pédron, Shaï Maestro, Rémi Panossian Trio, Elisabeth Kontomanou, Sidony Box, Jean-Pierre Como, David El Malek, etc.), le club n’a pu se constituer une clientèle suffisante. Il en est résulté une nouvelle ligne avec un nouveau directeur artistique, Sylvain Le Pennec.

Cette nouvelle direction s’est accompagnée d’une nouvelle dénomination. Le 1988 jazz club est mort. Vive le 1988 live club ! Ce changement se traduit par une inflexion de la ligne éditoriale. Le club se montre plus ouvert aux musiques actuelles, au funk, à la soul, etc. Une nouvelle salle, plus grande, permet également d’accueillir des formations plus étoffées, comme Sixun ou le Bernard Allison Band.

On le voit donc, le jazz reste néanmoins présent au 1988 live club, qui a aussi programmé cette année Kellylee Evans, le Benjamin Coum trio, etc. Mais la nouveauté la plus importante est sans doute une plus grande ouverture, grâce notamment à l’instauration de premières parties, aux groupes et artistes locaux émergents. Parmi les plus récents, la harpiste et chanteuse Laura Perrudin.

Laura Perrudin © Jean-François Picaut

Née à Rennes dans une famille de mélomanes il y a un peu plus de vingt ans, Laura Perrudin est séduite, très jeune, par la harpe, qu’elle écoute grâce au disque d’une amie irlandaise de sa mère. C’est donc tout naturellement qu’elle choisira cet instrument vers sept ou huit ans au Conservatoire de Rennes, où elle achèvera un parcours classique avant d’étudier le jazz dans les classes spécialisées des conservatoires de Rennes et Saint-Brieuc. Parallèlement à ce parcours académique, dans son milieu familial, sous l’influence de son père particulièrement, Laura Perrudin découvre le jazz. Elle s’y initie d’abord en autodidacte, ainsi qu’au chant, en fréquentant les concerts et les artistes.

Si on l’interroge sur ses goûts musicaux et ses influences, elle cite d’abord la harpiste bretonne Kristen Noguès, dont l’univers allie les musiques bretonne et classique en les teintant fortement de jazz, mais également Björk et, dans de tout autres univers, Debussy et Wayne Shorter, ce qui en dit long sur son ambition. Le résultat, qu’elle qualifie d’impressionniste tout en confiant que cela ne la satisfait pas, se situe effectivement au confluent du jazz, de la musique classique, de la musique électronique et de ce qu’il est convenu d’appeler « musiques du monde ».

C’est ce que les amateurs réunis au 1988 live club ont pu entendre, et qu’ils ont beaucoup apprécié. Kellylee Evans, la vedette de la soirée, confiait à tout un chacun son émotion en répétant qu’elle avait trouvé cela « superbe ! ». On peut s’en faire une idée en écoutant les cinq titres gravés sur un E.P. autoproduit, Profane Cookery, par le Laura Perrudin quartet (Edouard Ravelomanantsoa au Fender Rhodes, Sylvain Hannoun à la basse et Paul Morvan à la batterie), des compositions personnelles sur des poèmes le plus souvent de langue anglaise, de Shakespeare à Norma Winston ou Becca Stevens en passant par Edgar Poe, Yeats ou Joyce. Laura Perrudin admire beaucoup ceux qui arrivent à faire sonner la langue française mais trouve cela extrêmement difficile pour elle-même. Espérons que la réussite que constitue « De ce tardif avril », emprunté à Jean Moréas (né Ioánnis A. Papadiamantópoulos, 1856-1910), la persuadera de continuer dans cette voie. C’est, comme la plupart des titres interprétés, une ballade qui a parfois des allures médiévales et où le chant de Laura Perrudin prend des reflets métalliques troublants.

La voix de Laura Perrudin peut être qualifiée d’aérienne, avec des inflexions qui gardent des traces de l’enfance. Elle est cristalline sans être ténue. Un léger grain soyeux et velouté lui confère un voile mystérieux. La scène en solo permet de mettre en valeur son jeu à la harpe qui a fait dresser l’oreille à plus d’un spectateur tant il est (sur)prenant, à l’écart des sentiers battus. Plein d’énergie ou intimiste, très mélodique ou furieusement rythmique, la palette est étendue. Un titre - est-ce « Nocturne », sur un poème d’Archibald MacLeish ? - a particulièrement retenu l’attention. Le chant se situe dans un registre médium et la harpe, par sa pulsation très marquée, y évoque une guitare, voire une basse. Laura Perrudin y utilise aussi son instrument comme une percussion.

Tout cela dénote un univers singulier et une personnalité déjà affirmée chez une aussi jeune artiste : elle n’est professionnelle que depuis deux ans. C’est peut-être ce qui l’a rapprochée de Leïla Martial, autre figure singulière de la scène jazz. Les deux jeunes femmes, actuellement en résidence au Baiser salé (Paris), s’y sont produites avec Guillaume Latil (violoncelle) et Anthony Jambon (guitare), le 18 mars dernier.