Scènes

Échos du Saveurs Jazz 2016 - 4

Compte rendu de la septième édition du festival angevin


Avishaï Cohen par Jean-François Picaut

En cet avant-dernier jour, le Saveurs Jazz Festival a mis les petits plats dans les grands avec une programmation de haute volée mêlant jeune pousse, artiste confirmé et vedette internationale.

En cet avant-dernier jour, le Saveurs Jazz Festival a mis les petits plats dans les grands avec une programmation de haute volée mêlant jeunes pousses, artiste confirmé et vedette internationale.

Samedi 9 juillet 2016
La scène gratuite de la Marmite, chapiteau ouvert, a commencé par faire découvrir Alice Martinez à un public surpris puis enchanté. Cette jeune chanteuse, auteure et compositrice a interprété son nouveau projet WindoW, accompagnée par un solide trio : Lionel Dandine (Fender Rhodes), Sam Favreau (contrebasse) et Cédrick Bec (batterie). La jeune femme possède le métier de chanteuse de jazz sur le bout des doigts. Sa voix fraîche offre un contraste souvent saisissant avec des textes plutôt noirs ou caustiques.

Pierrick Pédron, & The : un festival d’énergies et de couleurs
En fin d’après-midi, nous avons rendez-vous avec Pierrick Pédron (saxophone alto et voix) pour son nouvel album & The (Jazz Village, 2016), nommé aux Victoires du Jazz.
Pour cette version scénique de son huitième album, le saxophoniste, qui s’est ici fait chanteur également, se présente avec un orchestre beaucoup moins important que sur le disque. Son quintette comporte, outre lui-même, Chris de Pauw (guitare et voix), Julien Herné (basse), Antoine Paganotti (batterie, voix) et Vincent Lafont (claviers).

Pierrick Pédron par Jean-François Picaut

A l’image du leader, l’ensemble dégage une belle énergie et pratique un jeu très physique. Le jeu de Pierrick Pédron est incisif, nerveux, parfois rageur jusqu’au growling. Cette sorte d’urgence qui semble emporter l’orchestre est emmenée par un Antoine Paganotti inspiré qui ne tarde pas à transpirer à grosses gouttes, dans cette étuve qu’est la Marmite ! Cela n’empêche pas des moments de respiration où le chant peut s’élever plus sereinement comme dans « Élise », « PP Song Tree » ou « Procession ». A cet égard, « Éthiop » est sans doute le titre le plus représentatif de cette nouvelle œuvre. Tandis que Paganotti répète inlassablement des figures rythmiques jusqu’à la transe ou presque, que Chris de Pauw utilise sa guitare de façon percussive, le saxophoniste sait trouver des accents mélodieux avec des couleurs orientales, çà et là mêlées d’influence balkanique. Un beau moment.

Laurent Coulondre trio, Schizophrenia : douceur et frénésie
C’est l’insolence de la jeunesse qui ouvre la soirée dans la grande salle avec Laurent Coulondre qui, quelques jours plus tard, sera consacré Révélation de l’année aux Victoires du Jazz 2016.
Le répertoire de ce soir est quasi exclusivement emprunté au troisième album de Coulondre, Schizophrenia (Sound Surveyor, 2015). Comme son titre le suggère, c’est une œuvre constamment écartelée : entre le piano et l’orgue, la contrebasse et la basse électrique, le funk déjanté au matériau sonore (sur)abondant et un swing de bon aloi. Chaque titre ou presque est ainsi partagé, divisé.

Dans « Fun Keys », Martin Wangermée (batterie) alterne gros son et finesse. « Bouncing Peanuts » fait voisiner des temps mélodieux, voire intimistes, notamment à la contrebasse jouée à l’archet par Jérémy Bruyère et de brusques déchaînements sonores du trio. Seule fait peut-être exception la délicate « Palma’s Waltz », très élégiaque, interprétée en version acoustique.

Cette façon de jouer avec les nerfs (et les oreilles !) des spectateurs dit assez la maîtrise montrée par ce groupe de jeunes musiciens et par le compositeur.

Avishai Cohen trio, « From Darkness : un pur régal
C’est à un trio de rêve qu’il revient de conclure la soirée et la journée : Avishai Cohen (contrebasse), Omri Mor (piano) et Daniel Dor (batterie). Le contrebassiste et ses compagnons de scène nous interprètent From Darkness (Razdaz Records, 2015). La joyeuse connivence musicale et humaine qui unit sans cesse les trois hommes fait plaisir à voir. Ce sera une apothéose.

Dès les premières notes, Avishai Cohen s’empare de son public. Son engagement physique est total, le corps toujours en mouvement, le visage animé et expressif. Il danse avec sa contrebasse, semble l’enlacer, l’embrasser, la caresser ou la brusquer. Il l’utilise avec ou sans archet, comme un instrument mélodique ou comme une percussion. A la batterie, Daniel Dor est capable de la plus grande délicatesse, d’une finesse de dentelle, mais il peut avoir aussi la frappe puissante et le rythme trépidant. Omri Mor fait montre d’un toucher très délicat et d’un grand sens de la mélodie comme de l’harmonie. Il peut cependant faire preuve d’une grande virtuosité alliant la force et la vélocité extrême.

Avishai Cohen © Jean-François Picaut

Le trio sculpte le matériau sonore et le temps. Il laisse s’épanouir la musique et les silences sans qu’on perde jamais de vue la pulsation qui parcourt l’ensemble, lui insufflant la vie. Si Avishai Cohen ne chante pas dans cet album, sa musique le fait pour lui. Tout ici est élégance et raffinement, y compris les titres plus rapides où le rythme et la danse sont premiers.

Le public se montre si enthousiaste qu’il obtient trois rappels. Le premier, purement instrumental, donne carte blanche à Daniel Dor pour un festival de rythmes et de sons avec une vélocité étourdissante. Le second est un vrai moment de bonheur : Avishai interprète « Nature Boy » avec une douceur et une délicatesse admirables. Le troisième et dernier est placé sous le signe de la fête. Le contrebassiste y chante une pièce rythmée, en ladino. Il nous y régale d’un magique solo de contrebasse, interprète un passage a cappella et termine par un vrai numéro de percussion afro-cubaine en se servant de son pupitre comme de timbales avec des baguettes empruntées à Daniel Dor. Il en casse d’ailleurs une et s’empresse de la remplacer. On ne sait qui est le plus déchaîné des artistes ou du public ! Tout s’achève par une très longue ovation debout et des tonnerres d’applaudissements…

Ainsi se clôt pour moi cette immersion de quatre jours dans un festival à taille humaine et qui m’a procuré de belles émotions.