Scènes

Jazz à l’Étage, à bon port à Saint-Malo

14e édition du festival, ancré dans le port breton avec un certain succès.


Le programme « Women » est centré autour des musiciennes instrumentistes de jazz et ce n’est pas par opportunisme car Yann Martin, le programmateur, promeut les musiciennes depuis fort longtemps. On se souvient d’une édition rennaise nommée « Women Only » en 2012 qui proposait déjà de découvrir les musiciennes moins ou mal mises en avant par ailleurs. Cette année, 12 musiciennes et 14 musiciens différent·es jouent sur les différentes scènes, tous concerts confondus.

The Hookup © Corinne Destribats

Le quartet The Hookup réunit Géraldine Laurent (sax alto), François Moutin (contrebasse), Louis Moutin (batterie) et Noé Huchard (piano) et joue devant près de 400 personnes dans la salle du théâtre de l’Hermine. Premier concert pour ce nouveau groupe qui propose des arrangements étonnants, pleins d’énergie et de fantaisie, de standards du début du XXe siècle, comme « Tea For Two », « Makin’ Whoopee », « Mean To Me », etc. La musique, même encore verte et sur partitions, est déjà entraînante et mémorable. On découvre les talents d’arrangeur, mélodiques et narratifs du pianiste Noé Huchard, aussi surprenant et inventif qu’à sa place, 15 ans auparavant, le jeune Paul Lay. Géraldine Laurent, au son chocolaté, a le don de choisir les pianistes avec clairvoyance.

Auparavant, la guitariste italienne Eleonora Strino a joué en quartet un jazz chaud et classique. La jeune femme, repérée sur Youtube, est une technicienne rapide et véloce.

Yuka Yanagihara © Corinne Destribats

Grâce à un partenariat avec le festival Takatsuki Jazz Street au Japon, Jazz à l’Étage présente une pianiste passée par Berklee, Yuka Yanagihara. Cette dernière vient d’abord en solo au Théâtre Chateaubriand pour une petite heure de musique autour de midi. Devant une cinquantaine de personnes, la pianiste déroule des standards et des compositions, dont une belle version d’« Autumn Leaves », déstructurée puis remontée de toutes pièces, dans un style classique, avec des moments jarrettiens rugueux, du romantisme vaporeux avec une pédale ouverte et quelques traits mélodiques minimalistes. On la retrouvera en fin de festival, avec un quartet étonnant, composé de la saxophoniste Olga Amelchenko, le bassiste Thomas Bramerie et le batteur Antoine Paganotti. Dans le petit auditorium du Conservatoire de musique – encore un lieu partenaire qui permet au festival de s’implanter sur le territoire – devant un public nombreux, les quatre musicien·nes ont interprété quelques standards dans le style post-bop, avec prises de chorus alternées, tutti, reprises de thème, etc. Il faisait bon, le jazz était chaud et la salle ravie. Amelchenko a un phrasé très fluide à l’alto qui rend ses envolées légères et virevoltantes.

Olga Amelchenko © Corinne Destribats

Elle remplaçait la saxophoniste Akiha Nakashima excusée et à ce titre, est venue jouer en duo avec le guitariste Vincent Robineau quelques standards légers dans la salle de lecture de la médiathèque Le Grande Passerelle, en ouverture de la table ronde « Femmes du jazz ». Autour de Blanche Lafuente, batteuse du trio Nout, la chercheuse Marie Buscatto venue présenter la mise à jour de l’étude sur la représentation femmes/hommes dans le jazz et les musiques improvisées (AJC, Grands Formats, la FNEIJMA et Opale), la représentante de l’association HF+ Bretagne et la modératrice Solenn Hallou de l’association féministe locale Les Malouines. Devant une assemblée fournie et attentive, les quatre femmes ont donné chiffres et exemples qui prouvent au moins une chose, c’est que si rien ne les oblige (la loi par exemple), les hommes ne programment, ni ne collaborent avec des femmes musiciennes ou professionnelles de la musique.

Laura Perrudin © Corinne Destribats

Le temps de traverser la ville pour retrouver la musicienne Laura Perrudin en solo, à la harpe, guitare, ukulélé, voix et diverses sonnailles pour un voyage dans des histoires chantées, aux textes poétiques.
Soudain, la salle du théâtre se remplit d’une nouvelle vague de spectateur·trices plus jeunes et plus nombreux·ses. Le trio Nout est sur scène !
Les trois musiciennes qui enchaînent prix, succès et tournées depuis 2022 ont maintenant un spectacle bien rôdé mais toujours plein de surprises.

Nout © Corinne Destribats

Avec un paquet d’effets électroniques, de pédales et de fils, Delphine Joussein et Rafaëlle Rinaudo ont cette faculté de transformer leurs flûte et harpe en hybrides saturés et punk. Blanche Lafuente n’est pas à la traîne et structure à grands renforts de frappes verticales le propos de l’ensemble. Nout forme un tout, une musique en fusion dont il est difficile de séparer les éléments. C’est un chaudron dans lequel le plomb devient aurifère.

Jazz à l’Étage aura donc présenté des projets variés musicalement, devant un public toujours présent, parfois abondant et dans différents lieux de la ville. C’est une 14e édition prometteuse, la 15e est donc attendue avec impatience.