Sur la platine

Le Train pour Odaïba de Michel Henritzi

Prendre le train dans la grisaille du soir peut engendrer une certaine mélancolie.


Prendre le train dans la grisaille du soir peut engendrer une certaine mélancolie. C’est ce qu’a filmé Kristof Guez dans un court-métrage de 17 minutes, réalisé en un seul plan, un travelling arrière.
Odaïba est une île artificielle dans la baie de Tokyo, paradis du shopping. On ne sait bien sûr si le voyageur, vous en l’occurrence, trouvera ou non les magasins ouverts. Mais est-ce important ? Seul compte le voyage, ici en métro, en regardant en arrière dans la dernière voiture. Pour ce voyage sans attrait, il a confié la musique à Michel Henritzi.

C’est le type même d’ambiance qu’affectionne le guitariste. Il n’y a pas grand chose à voir, si ce n’est le gigantisme architectural qu’on devine de part et d’autre de cette ligne aérienne. La monotonie et la déshumanisation comme ultimes frontières. Quelques notes servent de leitmotiv tout le film durant, dans une répétition qui rappelle le mouvement des roues et une désespérance inexorable. S’y superposent des grattements sales, répétés, et un chant de mélancolie banale, d’avenir de grisaille, sans printemps. Ces notes s’élèvent dans le vide de millions de solitudes juxtaposées. Elles sont comme polluées de grésillements plus ou moins intenses, de distorsions, de « salissures » bruitistes. Et pourtant ce chant accroche notre attention.

le leitmotiv, les notes qui s’élèvent, crèvent cette tentative d’enfermement, de mise sous cocon

Disons-le tout net, la musique de Michel Henritzi nous bouleverse profondément par sa simplicité, par ses multiples nuances de gris, par les scories qui s’y déposent, par le sentiment que cette mélopée pourrait n’avoir aucune fin. Lesdites scories semblent devenir envahissantes, mais le leitmotiv, les notes qui s’élèvent crèvent cette tentative d’enfermement, de mise sous cocon.
On sent bien l’absence de sortie de cette trajectoire, de ces rails, si ce n’est le terminus du voyage, terminus d’ailleurs sans intérêt.
En comme pour illustrer cette vacuité, le film s’arrête avant d’y parvenir.

C’est un moment de poésie intense que nous offre Michel Henritzi. Ces dix-sept minutes de musique entêtante, ces images d’un paysage de béton et de fer dans le crépuscule d’une ville tentaculaire, risquent de s’inscrire durablement dans notre psyché.
Une sorte de temps immobile.