Sur la platine

Errance parmi les ombres de Michel Henritzi

Michel Henritzi est une sorte de passeur entre les avant-gardes japonaises et l’improvisation en France.


Michel Henritzi par Natacha Thiery

Il est un fin connaisseur de la scène improvisée japonaise. De longue date. Il a écrit, entre autres, des articles éclairants, engagés, passionnants sur l’émergence du free jazz au Japon. C’est aussi un musicien assez prolifique. Il a de fréquentes collaborations avec des créateurs d’aujourd’hui (musique, photo), parmi les plus innovants, comme Shin’Ishi Isohata, Junko, …

Illustration de l’album

Dans sa musique, il revendique un double choix esthétique : la noise, violente, radicale, et l’expressionnisme à la sensibilité aiguisée. Il s’en explique sur son blog : « Je peux jouer des choses ultra-sentimentales en solo comme de la noise extrême avec le groupe Dustbreeders. » (extrait de son interview du 9 décembre 2017)

Dans son album solo paru en octobre 2011, on retrouve deux de ses concerts, le premier de 2008 à la Malterie de Lille, le second à Kyoto en 2011. Sur Bandcamp on apprend qu’il aurait été inspiré par des photos de Kumiko Karino, à laquelle on doit l’illustration de l’album ainsi que celles d’autres albums du guitariste.
Michel Henritzi fait souvent sonner ensemble plusieurs cordes de sa guitare. Il les met en résonance. Une richesse de timbres, de texture qui en fait l’équivalent d’un orgue sur des cordes. Dans ces mélodies d’accords, de clusters, se joue la permanence des couleurs, un entre-deux de la sensibilité dont l’équilibre est modifié par l’évolution spécifique de l’une d’entre elles. À d’autres moments, des fragments de lignes solistes, quelques arpèges, viennent, comme un pinceau sur la toile, apporter des atmosphères, inviter à un voyage lent dans des espaces sans repère, comme indéfini.

Qu’en est-il de ces atmosphères ? S’agissant d’une musique soliste, elle serait donc, selon Michel Henritzi, plutôt de la veine « ultra-sentimentale ». En fait, ce serait plutôt de la mélancolie ; c’est le terme qui vient à l’esprit lors de l’écoute de ces deux concerts. Une mélancolie tenace. Une sensibilité en équilibre précaire, une science spontanée d’expression de l’indicible affleurant sur ces cordes en résonances multiples. Ces errances poétiques nous entraînent inexorablement. Seul importe alors le voyage.
Et puis ces accords se complexifient, par exemple à la fin du concert à la Malterie de Lille. Ils se densifient. Ils se mettent à occuper tout l’espace. Ils frôlent les bruits blancs, mixant ainsi les deux extrêmes de l’esthétique de Michel Henritzi, noise et expressivité.

À Kyoto, retrouvailles avec les atmosphères qui ont nimbé La Malterie, trois ans plus tôt. Des échos sur des cordes frottées, glissées, des cordes écrasées rageusement, apportent des touches d’étrangeté, comme des vibrations de l’espace-temps, une réalité incertaine, fragile. Les vibratos, les réverbérations, les superpositions entretiennent ici aussi un rêve éveillé.
Ces deux concerts nous offrent ainsi une forme de poésie au long cours, particulièrement prégnante.

L’album est disponible sur BandCamp pour 6 €. Inutile de s’en priver.
Pour vous en convaincre, je vous propose l’écoute du concert de La Malterie :