Chronique

Lilly Joel

Plays The Organ

Jozef Dumoulin (org), Lynn Cassiers (voc, elec, fx)

Label / Distribution : Sub Rosa

Le duo de Jozef Dumoulin et Lynn Cassiers est toujours promesse d’alchimie. Les deux musiciens belges travaillent ensemble depuis des années dans différents projets, et il est rare de trouver musiciens plus complémentaires. La part d’imaginaire de la chanteuse, qui fait merveille dans ses orchestres ou, récemment encore, avec Alexandra Grimal, trouve dans les claviers bricolés de l’un des plus impressionnants joueurs de Rhodes les climats nécessaires à son accomplissement. On se souvient, il y a sept ans de cela, de What Lies in The Sea, le premier album du duo qui s’est donné comme nom Lilly Joel : ambiances nocturnes, chimères de tous les éléments, rêve éveillé au milieu des objets transfigurés. Il tardait de retrouver Cassiers et Dumoulin dans de nouvelles aventures. On ne savait pas à quoi s’attendre, sauf à l’inattendu. Contrat rempli.

L’atmosphère est familière : un brouillard léger empèse la voix de Lynn Cassiers, parfois lointaine et mystérieuse, quelques objets tintent ou résonnent. Dès « O Quam Mirabilis », on reconnaît aussitôt Lilly Joel. Parfois, la voix s’éteint pour mieux laisser le travail de Jozef Dumoulin se diffuser, jusqu’au silence. Pareil avec « Light Phenomena », courte composition du duo, où les objets semblent prendre vie avec une étrangeté sans théâtralité, où le plaisir du son domine avec une grande sensualité et un éloge de la lenteur. Pourtant, tout a changé ou presque : si Lynn Cassiers conserve sa part d’électronique, comme une aura qui la nimbe, Jozef Dumoulin a troqué son Fender pour l’orgue d’église. L’électrique laisse place au liturgique ? On peut le croire, d’autant que de l’errance de « O Quam Preciosa » au recueillement de « O Virtus Sapientae », ce sont des chants de la grande Hildegard von Bingen qui nourrissent ici le duo, dont la dimension spirituelle est ici exposée par sa facette la plus lumineuse.

Né d’une résidence à l’Abbaye de Royaumont où une partie du disque a été capté par Céline Grangey, Lilly Joel Plays The Organ révèle un pan de l’univers de Lynn Cassiers et Jozef Dumoulin qui nécessitait une mise en lumière, fût-elle divine. Une révélation, terme commun au religieux et à la photographie, qui donne envie de le découvrir dans une église. Comme un petit plaisir profane, on se délectera de « Águas de Março », le célèbre titre de Jobim, qui clôt un album magnifique par une interprétation où la lenteur crée une matière précieuse, délicieusement étrange, dont on ne se lasse pas.

par Franpi Barriaux // Publié le 14 mai 2023
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