Chronique

Octurn & The Tibetan Monks of Gyuto

Tantric College

Bo Van Der Werf (bs, ewi), Jozef Dumoulin (cla, p), Fabian Fiorini (p), Dré Pallemaerts (dms), The Tibetan Monks of Gyuto (voc)

Il y a une raison -et une seule- pour laquelle, sans autre forme de procès il faudrait déconseiller cet album d’Octurn, la fameuse formation du saxophoniste Bo Van Der Werf : si l’auditeur est absolument allergique aux chants de gorge. Et même plus précisément aux chants de gorge traditionnel tibétains, si caractéristique avec ce son polyphonique lancinant et ce sentiment d’impermanence qui en découle. Lorsque le double-album débute sur « Dalai Lama Long Life », les huit moines de Gyuto cherchent la transe par un mantra des plus classiques, qui laissera sans doute pantois les plus rétifs. Mais gageons que tous ceux qui auront aimé les atmosphères planantes de 21-Emanations, comme tous les universalistes avides d’expériences et qui aiment nos musiques, sauront faire fi de tout cela

Pour les curieux, que l’on souhaite nombreux, l’électricité qui se répand du clavier de Jozef Dumoulin, caressée par les cymbales de Dré Pallemaerts, éclairera sur la démarche de Tantric College. Il ne s’agit pas, dans des morceaux très alcalins comme « Hypnose », ou presque ambient comme « The Many Paths » de mixer les cultures, ni même d’aller vers. Les musiciens d’Octurn, dans une configuration en quartet bien plus ramassée qu’à l’accoutumée, s’attachent d’avantage à intégrer la structure rythmique tantrique et cette impression d’infinitude qui aurait expurgé toute connotation religieuse.Lorsque sur « Mahakala Tea Puja », la pulsation classique des musiques tibétaines laisse place à une construction polyrythmique qu’on pourrait qualifier d’octurnienne, avec ce son de baryton singulier et cette approche ésotérique et onirique qui emprunte beaucoup à la musique électronique, à l’instar de « Main And Echo », lorsque le piano de Fabrice Fiorini s’encanaille dans les volutes opiacées du Fender de Dumoulin.

Ce n’est pas la première fois qu’Octurn s’intéresse à l’Asie et à ses traditions. Il y avait eu ce travail autour du Gamelan, mais surtout la collaboration avec les moines de Gyuto dure depuis 2012, avec diverses formules ; un morceau comme « Le grand noir », très contemporain dans sa forme, fait partie depuis longtemps du répertoire. La grande nouveauté de Tantric College, paru sur le label Onze Heures Onze, c’est que l’enregistrement a été réalisé en grande partie sur place. Le célèbre monastère bouddhique créé au XVe siècle a accueilli la formation belge pendant plusieurs semaines, et c’est le fruit de cette résidence qui arrive jusqu’à nous. Une expérience unique et troublante, signe de la confiance et du respect mutuel qui anime tous ces musiciens et qui chamboulera l’auditeur fouineur... Le meilleur d’entre nous tous.

par Franpi Barriaux // Publié le 24 juillet 2016
P.-S. :

The Tibetan Monks of Gyuto : Topgyal Tsering, Tenzin Passang, Lobsang Ngawang, Dorje Tsering, Gedun Nyandak, Phuntsok Ngawang, Lhundup Tenzin, Lobsang Phenden (voc)