Chronique

Lynn Adib & Marc Buronfosse

Nearness

Lynn Adib (voc, fl), Marc Buronfosse (b), Jasser Haj Youssef (vda), Antifoniko Melos (choir), Rishab Prasanna (fl), Mosin Kawa (perc)

Il est étrange, ce disque de la chanteuse syrienne Lynn Adib et du bassiste Marc Buronfosse ; étrange parce que très vite, on se dit qu’il y a deux albums en un seul. Deux temps de rencontre. Autant de lieux et de climats. Nearness, le titre de l’album tiré de « The Nearness of You », en est un exemple idéal : enregistré à deux reprises sur ce disque, il porte toutes les ambiances. La première version du standard de Carmichael et Washington popularisé entre autres par Louis Armstrong, lorgne plutôt du côté de Norah Jones. La voix d’Adlib est douce, sucrée, il y a beaucoup d’espace entre les musiciens, comme dans cette reprise de « Present Tense » de Radiohead. C’est la version studio, parisienne.

Il n’en va pas de même sur la seconde apparition de la chanson, qui semble avoir plus de corps et de profondeur. Ce n’est pas seulement parce qu’on y retrouve la flûte bansuri de Rishad Presanna et les tablas de Mosin Kawa. Enregistré dans l’église Kinosargous d’Athènes, en Grèce, on redécouvre le standard dans une autre approche. Celle de Warne Marsh, celle du silence. Une direction qui interroge davantage les précédents disques de Buronfosse, notamment ceux enregistrés avec sa fidèle Fender Bass VI, et qui trouve sans doute son point dans le saisissant « Adagio Choral » où, sur une musique du joueur de viole d’amour Jasser Haj Youssef, Lynn Adib invite le prestigieux chœur grec Antifoniko Melos. Un morceau hors du temps, magique, qui rend grâce à la voix incroyable de la chanteuse.

La rencontre entre Marc Buronfosse et Lynn Adib s’est faite en Grèce, où le contrebassiste passe désormais beaucoup de temps, ce qui nous a offert de belles musiques. D’abord absolument spontané, ce dialogue entre musiciens s’est poursuivi sur disque. On peut être circonspect au premier abord par ce choix du double lieu, mais cela souligne aussi tout le spectre artistique de la chanteuse ; on peut être troublé par « Qalb », splendide plongée dans les racines du Moyen-Orient et ses rhizomes méditerranéens : on songera alors au duo entre Sarah Murcia et Kamilya Jubran. On peut être moins touché par l’approche pop plus caressante d’« Autruche »… Tout se rejoint finalement dans « Naoussa Kampos », hymne à l’île de Paros que Buronfosse avait déjà enregistré et qui laisse quelques clés : l’étrangeté, quelque part, c’est ce qui donne envie d’aller vers l’autre.