Chronique

Hans Lüdemann Trans Europe Express Ensemble

On The Edges 1

Label / Distribution : BMC Records

En 2018, à l’occasion de la livraison précédente de l’album du Trans Europe Express Ensemble (TEE), nous écrivions que le pianiste Hans Lüdemann et son octet n’étaient pas du genre à se laisser enfermer dans un quelconque carcan. Accompagné d’un line-up européen des plus excitants, avec ses cadres immuables (les saxophonistes Alexandra Grimal et Silke Eberhard) et son fidèle trio de base tout terrain, celui de Rooms (Dejan Terzić à la batterie, Sébastien Boisseau à la contrebasse), Lüdemann confirme avec On The Edges 1 qu’il n’est jamais où on l’attend ; et c’est exactement là où il devait être, à l’instar de la mécanique précise et joyeuse qui est à l’œuvre dans « Yaya ». Le trombone d’Yves Robert conduit les soufflants aux contreforts du sud de la Méditerranée, entre ostinato de piano et groove sensible de la base rythmique, sur une composition du chanteur et polyinstrumentiste Majid Bekkas, invité de cet album.

La rencontre avec les deux musiciens est inédite, mais elle est, tout de suite d’une évidence rare. Le TEE a changé : les cordes sont nouvelles avec Régis Huby qui remplace Théo Ceccaldi et Ronny Graupe, un fidèle du pianiste, qui reprend sa place. Si l’on peut considérer « Lamjarred » comme l’un des petits rounds d’observation, le bois de la contrebasse de Boisseau introduisant un merveille un propos d’une rare émotion, c’est bien la suite « On The Edges » qui est le plat de résistance de l’orchestre. Certes, Bekkas guide l’octet dans la rigueur magnifique des montagnes berbères. Il y a des échanges puissants entre l’orchestre et son chant à la maestria rythmique que les deux saxophonistes savent sublimer en explosions sporadiques. La suite écrite par Lüdemann est la grande affaire de ce disque paru chez BMC : il s’agit pour lui de visiter les contreforts de l’Europe, d’aller aux frontières et de les ouvrir en écoutant ce qui se passe au-delà. Mieux, ce qui s’y mélange. Des boutures de rythmes et de chants se mettent à pousser : le violon et le oud se tutoient soudain, Lüdemann bâtit des ponts au-dessus de la mer dans le très doux « On The Edges part III » où ses habituels dispositifs électroniques, véritable travail microtonal, cherchent et trouvent toutes les hybridations grâce à la guitare de Graupe, très en pointe (part IV).

On doit se souvenir qu’avec le trio Ivoire, Hans Lüdemann est un très fin connaisseur de la musique africaine. Il applique ici des recettes qu’il a éprouvées dans ses recherches nombreuses, mais avec le TEE, il y a ici une dimension supplémentaire et absolument enthousiasmante. On pourra penser à ce qu’Hubert Dupont a pu proposer dans une esthétique proche, mais Lüdemann parvient à y apporter sa signature inimitable, tant dans l’écriture que dans la profondeur de son instrumentarium. Le feu d’artifice de la « Part V », où les soufflants s’emparent du thème pour lui donner énergie et puissance, affiche toutes les promesses du live. L’album se termine par une composition d’Alexandra Grimal qui nous rappelle soudain son amour des lieux écrasés de canicule et de vents chauds (« Ashura »). Il nous tarde d’entendre ce très beau TEE sur d’autres confins de l’Europe, sans doute au bout du Danube, là où aussi, l’Orient se mêle. Un disque indispensable.

par Franpi Barriaux // Publié le 28 mai 2023
P.-S. :

Hans Lüdemann (p, elec), Yves Robert (tb), Alexandra Grimal (ss, ts), Silke Eberhard (as, cl, bcl), Régis Huby (vln), Ronny Graupe (g), Sébastien Boisseau (b), Dejan Terzic (dms, perc) + Majid Bekkas (voc, oud, guembri)

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